Mais votre Figaro est une espèce de soleil tournant qui brûle en jaillissant les manchettes de tout le monde ! Cela est vrai, messieurs. Mais sachez-moi gré de ce qu’il ne vous brûle pas aussi les doigts. Au temps qui court, on a beau jeu sur cette matière. M’est-il permis, dites-moi, de composer la comédie en homme de vingt ans ? toujours de vous faire rire, sans jamais vous rien dire ? et ne devez-vous pas me passer un peu de raison en faveur de ma folie, comme on passe aux Français un peu de folie en faveur de la raison. Si j’ai jeté sur les sottises du siècle, en riant, ce qu’une légère fleur de gaîté permet de critique badine, ce n’est pas que je ne sache en former de plus sévères ; mais je les garde pour un des sujets les plus moraux du théâtre, aujourd’hui sur mon chantier, la Mère coupable ; et si l’horrible dégoût que j’éprouve ici permet mais de l’achever, mon projet étant d’y faire verser des larmes à toutes les femmes sensibles, j’y répandrai les traits de la plus austère morale, et j’y tonnerai fortement sur les vices de mes contemporains. Attendez-moi.
Telle est, monsieur le baron, mon opinion que je vous soumets, sur la décence au théâtre, et sur ce qu’on y doit permettre ou défendre. Je reprends ma narration, aussitôt que les comédiens ont eu reçu par acclamation ce pauvre Mariage qui depuis eut tant d’opposants, je priai M. Le Noir de me nommer un censeur, en lui demandant, comme une grâce particulière, que la pièce ne lût lue par aucune autre personne ; ce qu’il voulut bien me promettre, en m’assuranl que. secrétaires ou commis, aucun ne toucherait le manuscrit, et que la pièce serait censurée dans son cabinet. Elle le fut par M. Coqueley, avocat ; et je supplie M. Le Noir de vous mettre sous les yeux ses retranchements, sa censure et son approbation.
Six semaines après, j’appris dans le momie que ma pièce avait été lue dans toutes les soirées de Versailles, el je fus au désespoir de la complaisance peut-être forcée du magistrat, sur un ouvrage qui m’appartenait encore : parce que ce n’est peint là la marche austère et tidele de la grave censure.
Bien ou mal lue, ou commentée, on trouva la pièce détestable ; les uns disaient immorale, les autres la jugeaient un tissu de bêtises. El sans que je susse par où je péchais. parce qu’en n’exprimait rien, selon l’usage, je me vis à l’inquisition, obligé de deviner mes crimes, el me jugeant tacitement proscrit. Mais comme celte proscription de la cour n’avait fait qu’irriter la curiosité de la ville, je fus condamne de nouveau à des lectures sans nbre.
les fois qu’en voit un parti, bienlôl il s’en forme un second, et l’ouvrage ainsi débute, l’esté équivoque, jusqu’à ce qu’il suit totalement jugé au théâtre. C’esl ce qui m’est arrivé : autant de partisans que de détracteurs. 1 — 1 ba et puis rien. Je n’en ai pas moins remis tristementl’ouvrage au portefeuille, avec l’approbation d’un ci Dseur en arrière, le blâme’ avant, et le vœu du public impatienté de voir son attente abi
Un an après, des personnes dGnl je respecte les demandes, ayant désiré donner une fête à l’un des frères du roi, voulurent absolument qu’on y jouàl le Mariage de Figaro. Pour toute condition à ma déférence, je priai qu’on ne confiât la pièce très-difficile à jouer qu’aux seuls comédiens français ; du reste je laissais tout à la volonté des demandeurs.
Je ne sais vraiment quelle intrigue de cour alors sollicitée obtint, enfin amena la défense expresse du roi de jouer la pièce aux Henus-Plaisirs ; ou plutôt si, je le sais, je crois inutile de le din.i qui le sait beaucoup mieux que moi, Encore une fois, je remis patiemmenl la pièce en portefeuille, attendant qu’un autre événement l’en tirai : celui-ci n’a pas tarde. L’an dernier j’étais en Angleterre occupe d’affaires graves. H me vient et lettre et courrier. Il faut le Mariage de Figaro. Poi ? it de salut sans Figaro. C’est encori uni fête pour le frère du Roi. Si vous n’arrivez pas promplement, on jouera la pièci sansvous, les comédiens ayant leurs rôles. Je reviens à Paris, et, toul en rendant grâce de la préférence, j’objecte les défenses du roi ; l’on se charge obligeammenl d’eu obtenir la levée. Je demande alors pour toute condition qu’on me permette de faire cen urei de nouveau l’ouvrage ; on me trouve un peu bégueule a mon tour, et l’on va jusqu’à dire que je fais le difficile, uniquement parce qu’on me désire. Mais comme je voulais absolument fixer l’opinion publique par ce nouvel examen, je tins Juin, et le sévère historien M. Gaillard, de l’Académie française, me fut nomme pour censeur par le magistrat de la police.
La pièce approuvé ! de nouveau, je portai la précaution jusqu’à prévenir qu’elle ne devait pas être jouée pour la fête, sans que j’eusse avant la parole expresse du magistrat, que les comédiens français pouvaient la regarder comme appartenant à leur théâtre ; et j’ose ici certifier que cette assurance me lui donnée par M. Le Noir qui certainement croyait toul Uni, comme je dus le croire moi-même.
À mon grand étonnement, et pour prix de ma complaisance, de nouvelles et sourdes objections sortirent contre l’ouvrage du plaisir mesuré qu’il avait fait à Gennevilliers. Résolu de les attérer, je demandai de nouveaux censeurs à M. Le Noir qui voulut bien me répondre alors : que la pièce ayant été censurée et approuvée deux fois, M. le garde des sceaux pensait que le tribunal de censure et l'auteur étaient tous parfaitement en règle qu’il ne