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EUGÉNIE
DRAME EN CINQ ACTES ET EN PROSE
REPRÉSENTÉ, POUR LA PREMIÈRE FOIS, SUR LE THÉÂTRE DE LA COMÉDIE-FRANÇAISE, LE 25 JUIN 1767


Une seule démarche hasardée m’a mise à la merci de tout le monde.
(Eugénie, acte III, scène iv.)


PERSONNAGES

Le baron HARTLEY, père d’Eugénie.

Le lord comte de CLARENDON, amant d’Eugénie, cru son époux.

Madame MURER, tante d’Eugénie.

EUGÉNIE, fille du baron.

Sir CHARLES, frère d’Eugénie.

COWERLY, capitaine de haut bord, ami du baron.

DRINK, valet de chambre du comte de Clarendon.

BETSY, femme de chambre d’Eugénie.

ROBERT, premier laquais de madame Murer.

Personnages muets. Des valets armés.


HABILLEMENT DES PERSONNAGES
suivant le costume de chacun en angleterre

Le baron HARTLEY, vieux gentilhomme du pays de Galles, doit avoir un habit gris et veste rouge à petit galon d’or, une culotte grise, des bas gris roulés, des jarretières noires sur les bas, de petites boucles à ses souliers carrés et à talons hauts, une perruque à la brigadière ou un ample bonnet, un grand chapeau à la Ragotzi, une cravate nouée et passée dans une boutonnière de l’habit, un surtout de velours noir par-dessus tout l’habillement.

Le comte de CLARENDON, jeune homme de la cour : un habit à la française des plus riches et des plus élégants ; dans les quatrième et cinquième actes, un frac tout uni à revers, de même étoffe.

Madame MURER, riche veuve du pays de Galles : une robe anglaise toute ronde, de couleur sérieuse, à bottes, sans engageantes, sur un corps serré descendant bien bas ; un grand fichu carré à dentelles anciennes attaché en croix sur la poitrine ; un tablier très-long, sans bavette, avec une large dentelle au bas ; des souliers de même étoffe que la robe ; une barrette anglaise à dentelle sur la tête, et par-dessus un chapeau de satin noir à rubans de même couleur.

EUGÉNIE : une robe anglaise toute ronde de couleur gaie, à bottes, comme celle de madame Murer ; le tablier de même que sa tante ; des souliers blancs, un chapeau de paille doublé et bordé de rose ; une barrette anglaise à dentelle sous son chapeau.

Sir CHARLES : un frac de drap bleu de roi à revers de même étoffe, boutons de métal plats, veste rouge croisée à petit galon ; culotte noire, bas de fil gris, grand chapeau uni, cocarde noire ; les cheveux redoublés en queue grosse et courte ; manchettes plates et unies.

M. COWERLY, capitaine de haut bord : grand uniforme de marine anglaise ; habit de drap bleu de roi à parements et revers de drap blanc, un galon d’or à la mousquetaire ; veste blanche, même galon ; double galon aux manches et aux poches de l’habit ; boutons de métal en bosse unis ; grand chapeau bordé ; cocarde noire fort apparente, cheveux en cadenettes.

DRINK : habit brun à boutonnières d’or et à taille courte, fait à l’anglaise.

BETSY, jeune fille du pays de Galles : une robe anglaise de toile peinte, toute ronde, à bottes ; très-petites manchettes ; fichu carré et croisé sur la poitrine ; tablier de batiste très-long ; barrette à l’anglaise sur la tête ; point de chapeau.


La scène est à Londres, dans une maison écartée, appartenant au comte de Clarendon.


ACTE PREMIER



Scène I


le baron HARTLEY, madame MURER, EUGÉNIE, BETSY.
Le théâtre représente un salon à la française, du meilleur goût. Aux deux côtés du fond, on voit deux portes : celle à droite est censée le passage par où l’on monte chez madame Murer ; celle à gauche est l’appartement d’Eugénie. Sur la partie latérale du salon à droite est la porte qui mène au jardin ; vis-à-vis, à gauche, est celle d’entrée par où les visites s’annoncent. Du plafond descend un lustre allumé ; sur les côtés sont des cordons de sonnettes dont on fait usage. Des malles et des paquets indiquent qu’on vient d’arriver. Dans un des coins est une table chargée d’un cabaret à thé. Les dames sont assises auprès. Madame Murer lit un papier anglais près de la bougie. Eugénie tient un ouvrage de broderie. Le baron est assis derrière la table. Betsy est debout à côté de lui, tenant d’une main un plateau avec un petit verre dessus ; de l’autre, une bouteille de marasquin empaillée : elle verse un verre au baron, et regarde après de côté et d’autre.
betsy.

Comme tout ceci est beau ! Mais c’est la chambre de ma maîtresse qu’il faut voir.

le baron, après avoir bu.

Celle-ci à droite ?

betsy.

Oui, monsieur ; l’autre est un passage par où l’on monte chez madame.

le baron.

J’entends : ici dessus.

madame murer.

Vous ne sortez pas, monsieur ? il est six heures.

le baron.

J’attends un carrosse… Eh bien ! Eugénie, tu ne dis mot ! est-ce que tu me boudes ? Je ne te trouve plus si gaie qu’autrefois.

eugénie.

Je suis un peu fatiguée du voyage, mon père.

le baron.

Tu as pourtant couru le jardin toute l’après-midi avec ta tante.

eugénie.

Cette maison est si recherchée !…

madame murer.

Il est vrai qu’elle est d’un goût… comme tout