Page:Beaumarchais - Œuvres complètes, Laplace, 1876.djvu/810

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
708
JEAN BÊTE À LA FOIRE, SCÈNE VI.

jean bête.

Ne craignez rien, charmante Zirzabelle, et permettez que mes gens fassent le coquecigrue z’autour de nous pendant que je vous en conterai.

isabelle.

Mais combien sont-ils donc à faire le guet ?

jean bête.

Soyez tranquille : ils sont un.

isabelle.

Qu’ils veillent donc tous ensemble exactement.

jean bête.

Est-ce que je voudrais vous exposer ? croyez que je suis aussi sûr d’eux que de moi, c’est z’Arlequin.

isabelle.

Mais qu’eux ressources avons-nous donc ?

jean bête.

Qu’eux ressources ? ne nous reste-t-il pas l’enlèvement, la fuite, le rapt, l’adultère, la désolation, la tribulation, etc., etc., sans le reste.

isabelle.

Ah ! mon cher z’amant, ce sont des petites niches que je serais t’au désespoir de vous faire ; cependant, monsieur Jean Bête, en votre absence les siècles me paraissent des jours, et si de colère je fais mes quatre repas, en revanche ma douleur est cause que je ne peux pas fermer l’œil de la journée.

jean bête.

Et moi qui ne saurais boire ni manger les trois quarts de la nuit. J’aurai l’honneur de vous faire t’enlever par mon valet z’Arlequin, et pourvu que vous ne vous effrayiez pas du bruit…

isabelle.

M’effrayer du bruit, cher z’amant ! ma mère m’a toujours dit que j’étais fille légitime du régiment Royal-Canon z’et que monsieur le bonhomme Cassandre n’était que mon père z’apocryphe, autrement dit, mon bâtard : jugez.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

arlequin, ôtant sa tête d’ours.

Doucement, doucement, monsieur mon maître, que chacun file sa corde, s’il vous plaît !

jean bête.

Pourquoi donc prends-je un valet, maraud ? est-ce pour me servir moi-même ? j’ai t’une maîtresse à z’enlever, je veux que tu me l’enlèves.

arlequin.

Pour quinze francs de gages par an, il faut que tout le gros ouvrage de la maison me tombe sur le corps.

jean bête.

Je te remettrai z’en ours.

arlequin.

Êtes-vous ben lourde, mamzelle ?

isabelle.

À peu près comme deux personnes, pas tout à fait encore.

arlequin, faisant le geste de la prendre par les reins pour la charger sur son épaule.

Allons, venez ça moi, j’ai de la z’humanité.

isabelle, criant.

Eh ben donc, ben donc ! z’insolent ! est-ce qu’on z’enlève une demoiselle de condition cul par dessus tête, les quatre pattes en l’air comme un chat retourné ?

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

arlequin, regardant derrière lui, crie :

Sauve qui peut, voilà le vieux vilain !

isabelle.

Ah ! j’entends Gilles qui jure, et mon père qui raquillonne.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

jean bête.

Tâche de les dissuader du chemin, z’Arlequin ! que j’aie le temps de me sauver et d’employer un autre tartagène…

arlequin, les poussant chacun d’un côté.

Tirez, la belle ; détalez, le galant, v’là justement z’une assiette cassée dans ce coin-là : je vas me déguiser en raccommodeux de faïence, et m’amuser à leurs dépens.



Scène VI


CASSANDRE, GILLES.
(Arlequin ôte sa veste, sur laquelle il s’assied.)
cassandre, avec un grand bâton qu’il traîne.

Où est-il ? où est-il ? s’t’infernal marchand d’opiat ?

gilles, armé d’une tête à perruque et de son pied.

Et son diable d’ours ?

cassandre.

Je veux t’être emmuselé comme un forçat !

gilles.

J’veux t’être vuidé comme un poulet, si…

arlequin, faisant semblant de ne pas les voir et de percer un morceau d’assiette avec la pointe de son couteau.

J’l’y avais promis,
Afin qu’al me prise.

cassandre, reprenant.

Oui, je veux t’être emmuselé comme un forçat…

gilles.

Oui, je veux t’être vuidé comme un poulet…

arlequin, chantant.

D’la mettre à Paris,
Z’ouvrière en chemise. — Bon.

gilles s’arrête et regarde Arlequin.

Quel diable de tableau z’a la silhouette est venu s’établir là, devant not’ porte ? Il ressemble à ce possédé d’ours comme deux gouttes d’eau, monsieur Cassandre, venez donc voir !