Page:Beaumarchais - Œuvres complètes, Laplace, 1876.djvu/806

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
704
JEAN BÊTE À LA FOIRE, SCÈNE I.

jean bête.

Courir comme un rat z’empoisonné.

arlequin.

Monsieur, Monsieur !…

jean bête.

Grimacer comme un z’échappé du purgatoire.

arlequin donne un coup de bâton.

Monsieur !…

jean bête.

Je ne vois point mon valet z’Arlequin.

arlequin, (un coup).

Me v’là.

jean bête.

Z’il m’aurait revangé.

arlequin.

Eh ! me v’là, tête de cruche.

jean bête.

Il aurait fiché des coups à cet enragé de Gilles.

arlequin, redoublant les coups.

Êtes-vous sourd ? me v’là.

(Jean Bête se retourne, ils se choquent et tombent.)
jean bête, se relevant, en colère.

Maraud ! punais ! cheval !… Je t’appelle depuis une heure.

arlequin.

Pardi, Monsieur, faut que vous soyez devenu tout d’un coup sourd, aveugle et muet de naissance ; vous m’appelez, je réponds.

jean bête.

Tu m’as répondu ? double vilain !

arlequin.

Demandez plutôt à la compagnie.

jean bête.

Et qu’est-ce que tu faisais ici ?

arlequin.

Mon ouvrage ; depuis t’un quart d’heure je m’occupe à battre votre habit, et en vous retournant vous m’avez crevé la fressure d’un coup de poing dans le nez.

jean bête.

Ah ! mon cher Arlequin, tu me vois t’abîmé dans un débordement de douleur.

arlequin.

Mon cher maître, vous me percez le cœur de parque en parque ! Est-ce qu’on vous a flanqué t’en prison ?

jean bête.

Ça me serait, je t’assure, bien inférieur.

arlequin.

Z’on vous a passé par les verges ?

jean bête.

C’est bien pus pire !

arlequin.

Fouetté z’et marqué ?

jean bête.

V’là z’encore z’une belle fichaise auprès de mon état.

arlequin.

Quoi donc ? pendu ? z’étranglé ? z’aux galères ? z’et puis t’exilé z’hors du royaume ?

jean bête, d’un ton théâtral.

Tout cela peut-il z’approcher de l’éclatant z’inconvénient qui vient de me couler sur la tête !

arlequin.

Z’à moins d’être sorcier ou lieutenant de police, z’on ne devine point.

jean bête.

Tu connais la charmante Zirzabelle ?

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

arlequin.

Ah ! ah ! ste demoiselle chez qui vous vous amusez quelquefois à faire l’enfant ?

jean bête.

Eh non ! tu parles de mademoiselle Tiremond, qui z’accouche les autres, et qui découche pour elle-même.

arlequin.

C’est donc celle qui, de désespoir quand vous êtes parti, voulait z’entrer aux Grands Cordeliers z’en qualité de sœur converse.

jean bête.

Z’elle-même.

arlequin.

La fille de monsieur le bonhomme Cassandre.

jean bête.

C’est toi qui l’as nommée.

arlequin.

Mordieu ! vous auriez dû me dire ça pluton que plutarque, on aurait vu…

jean bête.

Tu sais comme je l’adore à la fureur.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

arlequin.

Ah ! monsieur, ste vengeance-là z’est vile, et même puérile. La mort ne viendra peut-être que trop tôt nous serrer le chifflet à six pieds de terre ; ne cherchons pas noise, croyez-moi ; déguisez-vous plutôt en Anglais qui vend de l’orviétan, j’ai là un habit de Turc qui sera z’à merveille pour ça, nous v’là dans le temps de la foire, nous pourrons trouver le moyen de vous revenger de s’t’escogriffe de Gille ; et c’est d’autant plus aisé que mademoiselle Zirzabelle z’est ici avec monsieur son père.

jean bête.

Zirzabelle à la foire ?… Qu’eu z’émotion d’entrailles.

(Il tombe sur Arlequin.)
arlequin.

Est-ce votre dévoiement qui vous reprend ?

jean bête.

Z’hélas !