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puter mon pain à ceux qui l’ont volé à ma famille.

Que d’excellents chevaux je vois mourir au fiacre !

Mais j’avoue que je suis un peu comme la Claire de Jean- Jacques, à qui, même au travers des larmes, le rire échappait quelquefois. Je sais qu’il faut du relâche à l’esprit ; et je m’en suis donné un très-agréable en lisant vos deux manières de traiter la vie, les courses présumées de Melpomène et de Thalie.

La première chose qui m’a frappé, après les grâces de votre style, est la bonté de votre naturel. Tel autre n’eût vu dans ce cadre qu'un moyen d’exercer son talent satirique ; les deux muses du théâtre en offraient un fier canevas ! Vous, rendant à chacun ce qui lui était dû, n’avez dit que ce qu’il fallait pour n’irriter ni les vivants ni la mémoire des morts, en nous faisant aimer l’écrivain qui nous instruit en badinant.

Les courses des deux sœurs sont pleines de vers heureux. Ceux où vous faites descendre Eschyle dans l’arène pour combattre Sophocle sont beaux.

Il est vaincu. — Malheureux... d’un seul jour il avait trop vécu. (Vers parfait.]

fuit : la jeune élève, excusable peut-être, 

Préféra pour épouv son amant à son maître. Les deux premiers tragiques sont classés. Je saisis au hasard plusieurs vers dans la foule de ceux qui m’ont le plus frappe ; sur Thomas Corneille , par exemple : Faillie émule sans doute, et rival téméraire, Mais qui serait fameux s’il n’eût pas eu de frire. (C’est le traiter bien favorablement !] El sur ce frère si justement célèbre : Ces Romains, ces héros qu’il aime à rappeler, Sont plus grands, plus Romains quand il les fait parler. El Racine Racine ! avec quelle perfection de style décourageante ! C’est l’âme d’Eun :piDE et la voix de Virgile. Et la mort de Voltaire, qui disait dans sa loge, le jour de son couronnent înt : Vous coulez domine fain mourir ? Si son âme s’exhale en ces touchants adieux, Plus encor que les ans sa joie en est la cause. Ce n’est point une mort : c’est une apothéose. (Beau vers.) Le ton vif de Thalie contraste heureusement avec le majestueux de sa sœur. Vos vers courts et serrés lui donnent bien sa véritable allure. Sur leFestin dePierre, si sottement nommé ainsi par les Français, pour traduire il Coxvivo di pietra, h Convive dt ■pierre, qui est le vrai titre les deux vers suivants : D’un homme on peut prendre I habit Mais lui vole-t-on sa manière ? ne sont point gâtés par ceux-ci àe-Voltu ses Étreintes aux Sots : Le lourd Crevier, pédant crasseux et vain, Prend hardiment la place de Rollin, Comme un valet prend 1 habit d son maîlre. Je dis de von-... // est beau d’être lion a côté d’un tel homme ! Et ce bon Lafontaim mi- auprès de Molièn , avec une distinction aussi fine que juste : D’analyser le cœur humain Entre eux se partageait la pomme ; Mais l’inimitable bonhomme Avait pris un autre chemin. C’esl bien ; c’est bien. Dans le préambule d’un conte où j’avais, comme de raison, mis les fables au premier ran ouvrages, je m’étais permis de dire : Mais garda-t-il son mérite infini, Quand il mêla dans un conte erotique Les vers du siècle au jargon marotique ? Mélange ingrat qui le rend inégal Et singulier, bien plus qu’original, etc. Puis, étonné du blasphème qui m’échappait, je reviens à moi et lui dis : Mais, ô mon maître, excuse un badinage ; De ton disciple accepte un pur hommage ; Nul plus que moi n’a senti tes beautés, Tes i i- ii l’ifs et jamais imités, etc. J’aime el m’honore d’avoir défini comme vous cel inimitable bonhomme. Vous avez beaucoup honoré Destouches, le froid Destouches ; pour le nommer après Molière, il n’y avait guère à eu dire que cela... Celait une large manière, Un air digne, un noble regard... Et de Boissj ... El l’enjouement du Babillard La divertit sans la séduire... esl très-joli. Jamais d’amertume : c’est bien. Ci’ que vous dites sur les comiques d’Angleiem est fort jus le. Les Anglais ont dans leur gaieté, Et surtout dans la raillerie, Un fiel mordant, une Icretê Insupportable, en vérité, Quand des Français on a goûté Le sel et la plaisanterie. La critique eût été parfaite, approuvée de tous,