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LETTRE XXII

À M. DES ENTELLES, INTENDANT DES MENUS,

En lui envoyant un exemplaire du Barbier de Séville et des Deux Amis.

Paris, ce 2 août 1779.

Monsieur,

J’ai reçu la lettre dont vous m’avez honoré, en date du 29 juillet, par laquelle vous m’invitez, comme auteur dramatique, à concourir de mes faibles ouvrages à la formation de la bibliothèque des Menus-Plaisirs. J’ai l’honneur de vous envoyer un exemplaire des Deux Amis et un du Barbier de Séville, en attendant que la nouvelle édition qu’on fait d’Eugénie, mon troisième ouvrage, me permette de le joindre aux deux autres. Je ne doute pas que chaque auteur ne soit dans les mêmes dispositions, et c’est ce dont je m’assurerai plus positivement à la prochaine assemblée que je vais convoquer. Alors, monsieur, j’aurai l’honneur de vous communiquer le vœu géneral, en ma qualité de commissaire de la littérature. Il eût été bien à désirer que MM. les gentilshommes de la chambre, accueillant plus sérieusement les travaux que l’ordre des auteurs avait faits d’accord avec eux pour le nouveau règlement si nécessaire au théâtre, eussent daigné s’occuper, comme ils l’avaient promis, du plus noble objet de leur département. Vous savez, monsieur, si je les en ai invités, comment je les ai pressés, et comment, avec cet art de la cour qui fait tout éluder en promettant sans cesse, on a rendu depuis deux ans nos justes réclamations l’objet des moqueries de la comédie. Outré d’une pareille conduite, je viens de prier M. le maréchal de Duras de vouloir bien me rendre la parole que je lui donnai, il y a deux ans et demi, de me réunir à ses vues, qu’il appelait conciliatrices. Comme elles n’ont eu aucun succès, et que je suis sans espoir à cet égard, je vais reprendre la voie juridique, que j’avais abandonnée à sa prière.

Tant que la Comédie, monsieur, sera gouvernée sur les principes actuels, il est bien sûr qu’il n’y aura ni acteurs, ni auteurs ; et je me flatte de prouver avant peu, dans un ouvrage sérieux, que l’art du théâtre est prêt à retomber dans la barbarie en France, et qu’il est impossible que cela n’arrive point. MM. les gentilshommes de la chambre, ou sont trop grands seigneurs pour donner à ce premier des arts une attention dont ils ne le croient pas digne, ou s’ils s’en occupent, c’est pour l'envisager sous un point de vue absolument opposé à ses progrès, sous un point de vue destructeur de toute émulation ; c’est pour contribuer eux-mêmes à sa dégradation par leur négligence : d’où il résulte qu’au lieu d’êli nobles chefs de la littérature dramatique de l’Europe entière, comme ils le pourraient, ils sonl à peine aujourd’hui regardés ou comme lessultaus ind sérail ou comme les magisti foyer indocile, et le tribunal indo râbles tracasseries d’acteurs qu’ils i. même arranger. En vérité, cela fa ceux qui aiment véritablement le tin rer ; et moi, qui vois la

fermentation de plus près que personn relire, en me contentant di i^cat des pauvres à la suite rigoureuse de m teur, que je leur donne. Vous m’obligerez infiniment, m M. le maréchal

Duras à m’honorer d’un mot de ré] suis présenté plusieurs fois à sa porte : niais, depuis longtemps, il n’est plus chez lui ; commissaires des auteurs dramatiques. J’ai l’honneur d’être, avec tous les sen que votre lettre m’inspire,

sieur,

Votre très-humble, etc.

LETTRE XXIII.

À M. LE COMTE DE MAUREPAS.

Paris, ce 11 novembre 1779.

Monsieur le comte,

Si je n'ai pas encore assez de force pour sauter du lit et vous aller remercier, il n’y a pas non plus de faiblesse qui puisse m’empêcher de vous parler de ma reconnaissance.

On veut me voler trente-trois mille livres, et joignant l’intérêt d’un silence de vingt ans, on double la somme : cela fait soixante-six mille livres. On y ajoute pour douze mille livres de frais, et me voilà forcé de payer quatre-vingt mille livres à des gens qui, depuis vingt ans, m’en doivent quarante-six mille, et dont le seul titre est que je les ai laissés tranquilles par horreur des procès.

Vous avez entendu mon ami avec bonté. Je demande à consigner et à compter : je n’ai jamais eu que ce mot. On s’y refuse, en m’opposant des arrêts obtenus par défaut dans mes absences : et la forme, la forme, ce terrible patrimoine de la justice, sert de couverture à l’iniquité d’une demande atroce.

Consigner et compter, voilà ma requête ; payer comptant, si je dois, voilà quelle grâce je sollicite.

Vous m’avez promis vos bontés ; j’y compte : il n’y a jamais de détours en vos paroles. Vous faites le bien sans faste, et quand vous le pouvez : c’est ce que j’adore en vous.

Si mon pauvre prince de Conti vivait, comme je le ferais rougir de ses injustices à votre égard ! Craignez, mon ami, sur toutes choses, me disait-il, de vous attacher à M. de Maurepas. Comme la passion aveugle les hommes ! Il ne se doutait non plus de votre âme douce et gaie, que s’il ne vous eût jamais vu. Il m’a empêché pendant deux ans de me présenter devant vous. Et vous, monsieur le comte, quoique vous sussiez très-bien que j’étais