Page:Beaumarchais - Œuvres complètes, Laplace, 1876.djvu/752

Cette page n’a pas encore été corrigée

au roi sur cette matière intéressante, au nom du commerce, et dont cette lettre sera l’introduction.

Et j’ai l’honneur de vous en prévenir, afin que, si nulle voie de conciliation ne peut ramener la ferme générale à tendre une main équitable au commerce de France, écrasé par cette guerre, et prêt à succomber entre les Anglais et les fermiers, vous soyez instruit qu’un négociant français, qu’un citoyen s’est chargé du triste emploi de montrer au gouvernement, à la nation, à sa patrie enfin, d’où vient et à qui l’on doit imputer tout le mal qui va résulter de cet étrange ordre de choses. Et puisse encore, après mes preuves données, ma prédiction n’avoir aucun effet ! C’est le vœu le plus ardent de celui qui a l’honneur d’être, avec une grande considération,

Monsieur, votre, etc.

P. S. Depuis ma lettre écrite, j’apprends qu’un navire à moi, le Ferragus, a été pris et conduit à Glascow ; qu’une frégate aussi à moi, de vingt-deux canons, le Duc du Châtelet, a sauté malheureusement à sa sortie de Nantes ; enfin j’apprends que le Lyon, venant de Virginie, et sur lequel je crois avoir à fret trois cents boucauts de tabacs, a été pris et conduit à New-York. Je laisse à part les réflexions comparatives des gains du fermier du commerçant que tout ceci suggère. Mais tant de pertes connues, et dont chaque armateur citerait à peu près les pareilles, pouvant donner à ma lettre un ton d’humeur personnelle qui lui ôterait de sa force, je me crois obligé de vous assurer, monsieur, qu’en aucune affaire qui me fût propre je n’aurais mis la fermeté dont cette lettre est remplie. Mais je parle an nom du commerce, qui souffre, et à qui ses perles accumulées rendent le système ci les procédés de la ferme encore plus in support a files, (.’.’esl pour lui. non pour moi, que j’écris, que je veille, que je voyage, que j’étudie, que je travaille enfin depuis quatre ans, bien assuré que la franco ayant en elle tous les autres genres de supériorité, celle du commerce maritime, que la fortune lui offrait aujourd liui de si bonne grâce, allait achever de lui donner sur tous les intérêts du momie une prépondérance unis ■ ; •selle, si nul obstacle intérieur n’avait enchaîné l’essor de ses armateurs.

Le prix des tabacs en Hollande est coté, du l « r janvier, de cent vingt à cent trente livres, il y a bien loin de là à quatre-vingts livres, et quinze livres pour cent de tare. C’est le prix mitoyen que le commerce demande, cent livres. LETTRE XVIII.

AU MINISTRE DE LA MARINE.

Ce IJ février 1779.

Monsieur de Sartines est supplié de vouloir bien donner de ordi e pour que l’on cherche parmi les prisonniers anglais un nommé Nehemiah Hollond, qui a été pris sur le Saint-Pt U r ou Samt-Pù m el d’accorder sa liberté à Beaumarchais, qui désire de tout cœur acquitter l’engagement pris par M. Mulliers, officier de la brigade irlandaise, envers mi capitaine corsaire anglais qui non-seulement l’a remis en liberté sur un navire neutre, après l’avoir pris dans son passage, | M continent en Europe, mais lui a généreusement offert sa bourse, en lui demandant pour toute reconnaissance de lâcher d’obtenir l’élargissement de son ami Nehemiah Hollond, prisonnier en france.

Dans l’horrible métier de la guerre, il semble qu’on ne peut trop encourager tout ce qui tient à la générosité, et s’écarte un peu de la férocité anglaise.

Le trait du capitaine anglais et la récompense qu’y attachera le ministre français seront tous deux consignés dans le Courrier de l'Europe.

LETTRE XIX.

À M. SW.

Ce 11 avril 1779.

Puisque vous me faites l’honneur, mon cher Sw…, de me consulter sur le grand objet qui vous attire en France, je dois à l’estime que je fais de vous de penser tout haut avec vous sur cette affaire : écoutez-moi donc.

Laissez là, mon ami, toute espèce d’intrigues et de dépenses qui ne vous mèneraient à rien et pourraient vous nuire, et retenez bien ce que je vous communique.

L’Angleterre, accablée sous le poids de la faute qu’elle a faite en s’aliénant l’Amérique, doit extrêmement redouter d’aggraver son mal, en continuant une guerre avec la France, qui ne lui rendra point l’Amérique, et qui, par la réunion prochaine des forces de la maison de Bourbon, et la tournure que prennent les choses en Hollande, peut la jeter dans des embarras dont rien ne pourrait plus la tirer.

La France, absolument sans ambition sur l’accroissement de sa puissance, n’a aucun intérêt à faire la guerre. Le seul qu’elle eût d’abord à la querelle entre l’Angleterre et l’Amérique était de voir son ennemie tellement occupée par le soulèvement de ses colonies, qu’elle n’eût rien à redouter de cette rivale, toujours injuste envers nous, comme on sait, quand elle peut l’être impunément.

L’Angleterre n’a pas même le droit de nous reprocher notre traité avec l’Amérique, quoiqu’il soit l’unique prétexte de ses hostilités :

1o Parce que ce traité n’a été conclu qu’à l’instant même où l’Angleterre en allait proposer un semblable à l’Amérique, et nous exposer au ressentiment de cette république, qui depuis trois ans ne cessait de solliciter notre alliance : forcés