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teurs vos nourriciers, c’est le huitième de leur sort ; pour vous, c’est un cent quatre-vingt-troisième : et voilà l’objet du débat auquel vous sacrifiez le Théâtre-Français ! Vous n’y avez pas bien réfléchi !

Tels ont été mes arguments. Je leur ai cent fois remontré que, dans leurs sept meilleures années, depuis 1782 jusques et compris 1789, où ils faisaient, année commune, neuf cent cinq mille livres de recette, toute la littérature en masse ne leur avait coûté que trente-sept mille huit cent deux livres par an ; qu’un traitement aussi modique, fût-il diminué d’un huitième sur d’aussi puissantes recettes, ne pouvait jamais réparer ce qu’ils appelaient leur malheur.

Je leur démontrai, plume en main, ainsi que je viens de le faire, que désormais cette littérature, malgré le décret national qui la rendait à ses propriétés, ne leur coûterait qu’un vingt-septième du produit net de chaque année ; et ce travail, messieurs, que j’ai mis sous vos yeux, vous a bien convaincus, j’espère, du motif conciliateur qui me l’avait fait entreprendre. Mes peines ont été perdues.

Malgré mes arguments, mes conseils, et surtout mes chiffres, après de longs délais et beaucoup de débats, MM. les comédiens français n’ont cru pouvoir aller qu’à vous offrir, messieurs, le septième de la recette, en retenant, par jour, neuf cents livres de frais ; plus, les frais extraordinaires, qui doivent passer dix mille livres : lesquels ensemble font trois cent vingt-cinq mille livres par an.

Pour appuyer la prétention des neuf cents livres, ils disent qu’ils dépensent treize cents livres par jour (ce qui est vrai pour onze cents livres). Mais si cette somme se compose de frais la plupart étranger à ceux dont les articles sont justement fixés par vous avec tous les autres spectacles, doit-on vous les passer en compte ?

Des feux d’acteurs, qui entrent dans leurs poches !

Des arrérages d’emprunts, dont ils ont des immeubles !

Des intérêts de fonds d’acteurs, dont l’argent est censé en caisse !

Des parts d’auteurs, qu’on peut payer ou non ; et prises sur les bénéfices, quand les frais ont été levés !

Des voyages à la cour, qui demeure à Paris !

Des vingtièmes, des capitations, des aumônes (devoir de citoyens que nous remplissons tous) !

Des étrennes, des fiacres, des acteurs à l’essai, etc., etc., et vingt articles d’etc., qui s’élèvent ensemble à plus de deux cent mille livres, sont-ils bien des frais journaliers dans lesquels l’auteur doive entrer sur son neuvième très-chétif, surtout lorsqu'en leur accordant sept cents livres avant le partage, ils ont à prélever deux cent quarante-cinq mille livres pour les frais ?

Après m’être un peu trop fâché, la ténacité qu’ils mettaient à se cramponner à leur offre m’a fait faire un nouveau travail, pour tâcher de les ramener d’une erreur aussi dangereuse. Mais ils croyaient, messieurs, avoir fait un si grand effort en ne vous arrachant pas plus, qu’ils m’ont répondu net q i’i tait aux autt urs à fairi a $m i t’/ti e, i uisqu’eux s’étaient tant avancés sur leur in, us. quand mus n’aviez rien changé sur les vôtres. One dire à celte obstination, sinon qu’ils sont bien malheureux d’aimer si fort huis intérêts, et de les entendre si mal ?

Enfin, dans une conférence entre leurs commissaires et quatre d’entre nous, j’ai pris sur moi d’aller jusqu’à leur proposer huit nuis livres de [nus par jour, sans être sûr que vous m’en avoueriez, mû par les considérations que les Français étaient le seul théâtre qui avait fait des pertes à la révolution, puisque tons les autres partagent un répertoire immense, qu’ils avaient seuls depuis cent ans ; que ce théâtre avait été le bel tous vos succès ; qu’ils payent les sotti es de leurs prédécesseurs ; qu’ils font vingt mille francs de pensions où leur honneur est engagé ; qu’aucun autre spectacle enfin ne pouvait exciper d toutes ces considérations, pour réclamer un avantage qu’un motif personnel aux comédiens français avait pu seul vous arracher. Mais, je le dis avec chagrin, j’ai perdu tout espoir d’un arrai ; i ment avec eux lorsque, pour unique réponse, ils m’ont répété quêteur mot était de prélever neuf cents livres di frais pur jour, sans les frais extraordinaires, en n’accordant que le septième.

Or, voyez tout le faux de ce fatal raisonnement !

Des six cents livres que vous passiez aux neuf cents livres qu’ils demandent, il paraît y avoir pour eux trois cents livres de gain par jour, ou cent cinq mille livres par an, sans les frais extraordinaires, qu’on peut porter à dix mille livres. Mais ce gain de cent quinze mille livres, auquel ils sont si acharnés, n’est qu’une vaine illusion, un faux aspect qui les égare.

Les soixante mille livres de l’abonnement des pauvres, le loyer qu’ils ne payent point, et la garde extérieure cessant d’être à leur solde, sont des objets d’un gain réel. Le faux gain sur les frais n’est rien.

Ces cent quinze mille livres exigées auraient bien toute leur valeur, si les auteurs, à qui on les demande, devaient les payer en effet ; mais leur part est si misérable dans les recettes d’une année, que, sur un produit présumé de sept cent trente-cinq mille livres, on a vu qu’elle ne va pas même à dix-huit mille livres par an. On en retiendrait mille écus (et c’est plus qu’on ne peut vouloir leur arracher), que les comédiens, sur leur part, n’en payeraient pas moins, par an, cent douze mille livres dans les cent quinze : objet d’un puéril débat, puisque le tout porte sur eux.

Cette rage de disputer, de mordre sur les gens