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que l’on veut appuyer en 1780, après vingt-trois ans d’abus, de l’autorité d’un arrêt du conseil.

Usurpation, possession, oubli du principe, sanction, voilà comment les trois quarts des droits s’établissent.

Mais pourquoi s’arrêter en si beau chemin ? ont dit les comédiens. En coûterait-il plus de sanctionner tout de suite une autre usurpation nouvelle et du même genre ? Les auteurs sont bonnes gens, essayons ; et l’on a fait ainsi la suite de l’article :

« … sans que pour le calcul de ces sommes (douze cents livres et huit cents livres) on puisse demander d’autre compte que celui de la recette qui se fait à la porte. »

Certes, cette phrase n’est la confirmation d’aucun article existant, d’aucun règlement quelconque ; ici l’on saute à pieds joints par-dessus la pudeur et l’honnêteté, pour donner, pendant qu’on y est, la même sanction d’un arrêt à un autre abus introduit sourdement à la Comédie depuis celui des petites loges.

Ainsi les comédiens, assistés de leurs conseils, qui avaient déjà diminué le sort des auteurs de plus de moitié, en faisant glisser en 1757, dans le règlement non communiqué, que la chute dans les règles (alors au-dessous de cinq cents livres) aurait lieu pour l’avenir lorsque les pièces tomberaient à douze cents livres de recette ; ainsi les comédiens, dis-je, profitant de ce que le silence, la faiblesse ou la bonhomie des auteurs avaient laissé passer et subsister cet abus, essayent, en 1780, non-seulement de sanctionner par un arrêt l’ancien accroissement abusif de cinq cents livres à douze cents livres, mais encore de porter tout d’un coup, par un second accroissement plus abusif, la somme de douze cents livres à celle de deux mille livres ; car douze cents livres prises sur la seule recette de la porte, et huit cents livres de la recette des petites loges (oubliées dans ce dernier compte), font tomber les pièces dans les règles justement à la somme de deux mille livres de recette entière.

Ainsi (car on ne peut le présenter sous trop de faces) les auteurs, à qui je venais de faire restituer, par la sévérité de mes calculs, plus d’un tiers de leurs droits usurpés sur le compte abusif de chaque représentation, reperdaient tout d’un coup, par cet article d’arrêt, sur leurs droits entiers, les deux tiers retranchés du nombre des représentations, car si, pour tomber dans les règles à douze cents livres de recette, et perdre sa propriété, un auteur avait pu jouir du fruit de vingt séances, il n’en devait plus espérer que douze, attendu que douze cents livres sont à deux mille livres de recette comme vingt représentations sont à douze. Ici la preuve est complète de la plus mauvaise volonté, de quelque part qu’elle vienne ; et les gens de lettres auraient dû me regarder comme un lâche complice de cette usurpation, si je l’avais passée sous silence.

Outré d’une pareille conduite et muni de cet étrange arrêt, je vais à Versailles (26 avril 1780) faire les plus vives représentations à M. Amelot. J’explique le motif de ma plainte, et j’apprends que le ministre, étranger à tous ces détails, avait regardé le projet d’arrêt qu’on lui avait présenté comme le résultat de notre accord avec la Comédie. Eh ! comment le ministre ne s’y serait-il pas trompé ? M. Jabineau, avocat, et conseil de la Comédie, en apportant le projet à Versailles, avait assuré qu’il était minuté de concert avec moi, ce qui l’avait fait expédier sans difficulté.

Non-seulement les conseils de la Comédie l’avaient assuré au ministre, mais ils en avaient tellement imposé à M. le maréchal de Duras, qu’ils étaient parvenus à lui faire écrire à M. Amelot que cet arrêt était fait de concert avec les auteurs ; tandis qu’il est bien prouvé qu’aucun d’eux n’en avait jamais eu connaissance. On alla même jusqu’à publier à Paris que j’avais donné les mains ou présidé secrètement à sa rédaction.

Cette ruse tendait à m’attirer les reproches des auteurs, et à me faire abandonner leurs intérêts par l’indignation d’une pareille injure.

En effet, mes confrères m’en parlèrent avec amertume. Ce trait de ma part leur paraissait l’accomplissement des avis qu’on leur avait fait donner plusieurs fois, que je m’entendais avec les supérieurs de la Comédie pour jouer les gens de lettres.

J’avais désabusé le ministre ; je désabusai mes confrères, en souriant avec eux de la maladresse de nos adversaires ; et je courus, le 2 mai 1780, chez M. le maréchal de Duras, qui, toujours rempli de son ancienne bienveillance, et me voyant si bien instruit des moyens qu’on avait employés pour tromperie ministre, voulut bien me dire que la chose n’était pas sans remède, et que si je lui communiquais mes observations sur cet arrêt, il prierait lui-même M. Amelot d’en expédier un autre sur le nouveau plan que je projetterais.

En pareille occasion, perdre un moment eût été d’une imprudence impardonnable. Je fis mes observations sur l’arrêt dans la même journée ; et je pris la liberté de demander, dès le second jour, un nouveau rendez-vous à M. le maréchal de Duras, qui eut l’égard délicat de me l’accorder pour le lendemain 4 mai. Je m’y rendis, accompagné de MM. Saurin, Marmontel et Sedaine, commissaires, et de MM. Bret, Duvit, Chamfort et Gudin, nos confrères ; car je me faisais un point d’honneur d’être lavé devant eux, par l’attestation de M. le maréchal de Duras, de la fausse imputation d’avoir connu un seul mot de cet arrêt injuste avant son expédition.

Ce premier point bien éclairci, nous présentâmes nos observations sur l’arrêt ; et M. le maré-