Page:Beaumarchais - Œuvres complètes, Laplace, 1876.djvu/687

Cette page n’a pas encore été corrigée

que je devais apaiser sous ses auspices, elles continuèrent avec aigreur comme par le passé.

Pendant ce temps on avait joué trente-deux fois le Barbier de Séville, vrai badinage et la moins importante des productions théâtrales. Mais, comme il s’agissait pour moi d’en discuter le produit et non le mérite, je fis bon marché de ma gloire aux journalistes, et me contentai de demander un compte exact aux comédiens.

Ces derniers, de qui je n’en avais jamais exigé pour mes précédents ouvrages, furent peut-être alarmés de me voir solliciter celui du Barbier de Séville. On craignit que je ne voulusse user d’un droit incontestable pour compulser ces registres si durement refusés, et déterminer enfin si les plaintes des auteurs étaient fondées ou chimériques.

Ma demande existait depuis six mois (novembre 1770) ; j’en parlais souvent aux comédiens. Un jour, à leur assemblée, l’un d’eux me demanda si mon intention était de donner ma pièce à la Comédie, ou d’en exiger le droit d’auteur. Je répondis en riant, comme Sganarelle : Je la donnerai si je veux la donner, et je ne la donnerai pas si je ne veux pas la donner ; ce qui n’empêche point qu’on ne m’en remette le décompte : un présent n’a de mérite que lorsque celui qui le fait en connaît bien la valeur.

Un des premiers acteurs insiste, et me dit : « Si vous ne la donnez pas, monsieur, au moins dites-nous combien de fois vous désirez qu’on la joue encore à votre profit ; après quoi elle nous appartiendra. — Quelle nécessité, messieurs, qu’elle vous appartienne ? — Beaucoup de MM. les auteurs font cet arrangement avec nous. — Ce sont des auteurs inimitables. — Ils s’en trouvent très-bien, monsieur : car, s’ils ne partagent plus dans le produit de leur ouvrage, au moins ont-ils le plaisir de le voir représenter plus souvent : la Comédie réj I toujours aux procédés qu’on a pour elle. Voulez-vous qu’on la joue à votre profit encore six fois, huit fois, même dix ? parlez. »

Je trouvai la propositions ! gaie, que je répondis sur le même ton : « Puisque vous le permettez, je demande qu’on la joue à mon profit mille et une fois. — Monsieur, vous êtes bien modeste. — Modeste, messieurs, comme vous êtes justes. Quelle manie avez-vous donc d’hériter des gens qui ne sont pas morts ? Ma pièce ne pouvant être à vous qu’en tombant à une modique recette, vous devriez désirer, au contraire, qu’elle ne vous appartînt jamais. Les huit neuvièmes de cent louis ne valent-ils pas mieux que les neuf neuvièmes de cinquante ? Je vois, messieurs, que vous aimez beaucoup plus vos intérêts que vous ne les entendez. » Je saluai en riant l’assemblée, qui souriait aussi de son côté, parce que son orateur avait un peu rougi.

Depuis, j’ai été instruit que la Comédie faisait cette proposition à presque tous les auteurs dramatiques.

Enfin le 3 janvier 1777, je vis arriver chez moi M. Desessarts le comédien : il me dit avec la plus grande politesse car on le lui avait bien recommandée que ses camarades et lui, désirant que je n’eusse jamais de plaintes à former contre la Comédie, m envoyaient quatre mille cinq cent six livres qui m’appartenaient pour mon droit d’auteur sur trente-deux représentations du Barbier > !’Si i Me. Aucun compte n’étant joint à ces offres, je n’acceptai point l’argent, quoique le sieur Desessarts m’en pressât le plus poliment du monde (car on le lui avait fort recommandé).

<• Il y a beaucoup d’objets, me dit-il, sur lesquels nous ne pouvons offrir à MM. les auteurs qu’une cote mal taillée. — Ce que je demande à la Comédie, beaucoup plus que l’argent, lui répondis-je, est " ; < cote bien taillée, un compte exact, qui puisse servir de type ou de modèle à tous les décomptes futurs, et ramener la paix entre les acteurs et les auteurs. — Je vois bien, me dit-il en secouant la tête, que vous voulez ouvrir une querelle avec la Comédie. — Au contraire, monsieur ; et plaise au dieu des vers que je puisse les terminer toutes à l’avan-’ des parties ! » Il remporta son argent. Et le 6 janvier 1777. j’écrivis aux comédiens français la lettre suivante:

ci Ne portez point d’avance, messieurs, un faux i ut sur mon intention, qui est très-bonne, et laissez-moi dire un moment; vous serez con" lents de ma logique.

■ M. Desessarts est venu m’offrir obligeamment, de votre part, une somme de quatre mille et tant de livres, qui, dit-il. ni >"iil dues pour ma part d’auteur du Barbier de Séville. Grand merci, messieurs, de cette offre ! mais, avant de l’accepter, je désire savoir exactement comment s i .. la Comédie française le compte de cette rétribution, fixée, par un ancien usage, au neuvième de chaque recette, et qui a souvent excité des murmures et de sourdes réclamations parmi les gens de lettres.

t. Ce compte à rendre n’a occasionné tant de débats entre les auteurs et les comédiens que parce que la question n’a peut-être jamais été bien posée. Il n’est pas indigne d’un homme de qui s’intéresse à leur avancement de la discuter paisiblement avec vous, messieurs. Voici comment je la conçois :

« Tout auteur dont la pièce est acceptée fait avec les comédiens une entreprise à frais et à bénéfices communs, dont la livre, en termes de négociants, est de neuf sous, les frais équitablement prélevés et convenus entre les parties. Les comédiens prennent huit sous dans le bénéfice, et . /, neuvième reste net à l’auteur. Ce n’est point ici le cas d’examiner si cette affaire est utile ou