ne tarda pas à l’en mettre dehors. Il ne l’habita guère tranquillement, comme le remarque Arnault[1], que pendant les quelques années où, après qu’il y fut revenu mourir, sa cendre y dormit dans un coin du jardin, sous une urne remplie d’immortelles d’or[2].
L’émeute trop voisine, mais surtout beaucoup trop attirée par ce que cette maison avait d’apparence, et par les bruits répandus contre son propriétaire, la menaça presque aussi vite et presque autant que la Bastille[3]. Ce fut miracle que, celle-ci tombée, elle-même resta debout au milieu des clameurs, qui la dénonçaient comme un repaire d’accaparement, où chaque chambre servait de magasin à blé ! Plus tard on y voudra trouver des armes, maintenant ce sont des sacs de blé qu’on y veut venir prendre. Beaumarchais se gare du danger par une charité habile. Il donne douze mille livres pour les pauvres de Sainte-Marguerite, paroisse du faubourg[4], et, cette part du feu ainsi faite, il s’efface. À peine le voit-un quelques jours à l’Hôtel de ville, dans la réunion des électeurs, qui constitue la première municipalité. Il s’est trop mêlé de tout sous l’autre régime, pour se mêler de quoi que ce soit dans la bagarre de celui qui commence.
Il revient au théâtre, au drame — l’époque y prête — et pour en être plus que jamais, en même temps qu’il se refait auteur, il se fait directeur. La liberté des théâtres a permis d’en ouvrir un rue Culture-Sainte-Catherine, assez près de sa maison ; il s’y intéresse, y met des fonds, et, ce qui vaut mieux, il promet une pièce. La dernière de sa trilogie de Figaro, la Mère coupable, est prête. Elle sera pour ce théâtre du Marais, comme on l’appelle, et où il est réellement maître. Dès le mois de décembre 1791, il a dit nettement aux comédiens du Théâtre-Français qu’elle ne serait pas pour eux[5], et en effet le 20 juin suivant il la fait jouer au Marais. Le succès n’en fut pas d’un grand éclat. On ne s’en occupa guère que pour trouver, avec le critique Geoffroy, dans cette conclusion de la Folle Journée une nouvelle preuve « que la suite des folies est toujours triste; » et pour blâmer Beaumarchais d’avoir, en faisant de son ancien ennemi Bergasse le Bégearss odieux de sa pièce, poussé trop loin la rancune des personnalités. Elle passa du reste, comme je l’ai dit, assez inaperçue. Pouvait-il en être autrement entre le 20 juin et le 10 août ? Le drame était par les rues, on ne le cherchait plus ailleurs. Beaumarchais ne faillit que trop en avoir la preuve. Peu s’en fallut qu’une des boucheries de cette tragédie permanente ne l’eût pour victime.
Il n’avait pu tenir à l’envie d’une entreprise nouvelle. Croyant faire du patriotisme, comme à l’époque de ses affaires avec les États-Unis il faisait de l’indépendance, « il s’était exposé, dit Gudin, au danger d’être utile à son pays[6]. » Il avait acheté soixante mille fusils portés à Tervère, en Hollande, après le désarmement de la Belgique par l’Autriche, et sur un ordre du ministre de la guerre, qui lui avait avancé 500,000 francs en assignats, d’une valeur de 300,000 au plus, garantis par le dépôt qu’il avait fait lui-même de 745,000 francs en valeurs plus sérieuses, il s’était engagé à les faire venir en France, où il est inutile de dire que l’on pouvait en avoir grand besoin.
L’arrivée s’en fit tout d’abord attendre, sans que le peuple, averti de l’affaire par ses journaux, voulût croire à ce retard. Beaumarchais, disait-il, les avait reçus et les gardait pour la réaction, dont ses anciens rapports avec la cour indiquaient trop qu’il pouvait être l’agent. Accapareur de blé en 1789 pour affamer le peuple, il était accapareur de fusils en l792 pour le combattre ! Le lendemain du 10 août, ce bruit, activé par une dénonciation de l’ex-capucin Chabot, qui se vengeait ainsi d’un triolet-épigramme où il l’avait fustigé en compagnie de Bazire et de Merlin, était devenu si violent, que le peuple se porta en masse à sa maison