Pour M. Lebrun, à son réveil.
nl.re, à onze heures, chez votre suisse.
Monsieur, J'ai fait cinq lieues à pied par les terres labourées, pour venir compromettre ma vie à Paris en cherchant l'heure du rendez-vous qu'il vous a plu de me donner. Je suis arrivé à votre porte à neuf heures du soir. On m'a dit que vous vouliez bien me donner le choix de ce soir à onze heures, ou demain à neuf heures du matin.
« D'après ma dernière lettre, où je vous ai appris tous les dangers que je cours dans cette ville, j'ai jugé que vous daigneriez préférer pour moi le rendez-vous du soir. Il est onze heures; vos fatigues excessives font que vous êtes couché, dit-on. Mais moi, je ne puis revenir que demain après brune, et j'attendrai chez moi l'ordre qu'il vous plaira me donner.
■ Ah ! renoncez, monsieur, à me recevoir dans le jour. Je courrais le danger de ne vous arriver qu'en lambeaux!
J'enverrai demain savoir quelle heure vous me consacrerez le soir. La poste de Hollande ne part que lundi matin. Le sacrifice du danger de ma vie était le seul qui me restât à faire pour ces fusils : le voilà fait. Mais n'exposons point, je vous prie, un homme essentiel à la chose, eu lui faisant coui ii' les rues de jour.
« Je vous présente l'hommage d'un bon citoyen. «Signé Beaumarchais. »
Le temps de me copier donna relui de ni'amcncr un fiacre- J'arrivai chez moi à minuit. Je renvoyai le fiacre à six cents pas, pour qu'il ne sût point qui j'étais. En rentrant, j'eus bien de la peine a modérer chez moi la joie de me revoir encore vivant : je recommandai le secret.
Le lendemain matin j'écrivis à M. Lebrun :
« Ce dimanche 9 septembre 17;)j.
i' Monsieur,
\ la courageuse franchise de mes démarches d'hier au soir, jugez de mon zèle. Rien ne saurail le refroidir : mais ils m'ont fourré dans toutes les listes de clubs suspects, moi qui n'ai de ma vie mi- le [lied dans aucun ; qui n'ai même jamais été '/ l'Assembtà nationale, ni a Versailles, ni à
i est ainsi que la haine agit ! Tout ce qui peut livrer un homme à la fureur d'un peuple égaré,
ILS LE FONT DIRE CONTKE .MOI. C'est le s,e
qui m'empêche de vous voir le jour. Ma morl n'est bonne à rien, ma vie peut être encore utile. A quelle heure voulez-vous donc me recevoir ce soir? Toutes me sont égales, depuis la brune de sept heures jusqu'au crépuscule de demain. «J'attends vos ordres, et suis avec respect, « Monsieur,
« Votre, etc.
• S .ne Beaumarchais, a
Le ministre me lit dire encore par son suisse de venir U soir même à dix heures. Je m'y rendis. Mai- le suisse, baissant les yeux, me remit, de sa part, au lendemain lundi à la m imi h ure.
Dévoré d'un chagrin mortel, j'\ revins le lundi " dio, heures du soir. On voil que, quand la chose importe, je jette sous mes pieds les dégoûts qu'on me donne. Mais, au lieu de me recevoir, il fit remettre chez son suisse le billel de laqua transcris ici :
« 10 septembre 179 !.
" Monsieur,
i Comme il n'y a pas aujourd'hui de i on il. monsieur Lebrun prie M. de Beaumarche de vouloir bien repasser demain au soir à neuf heures trois cards il ne peut avoir Ihonneur de le voir ce soir par raison de travaille-. »
le repondis sur-le-champ au billel — Quoi!
encore une lettre ? — Je vois l'impatience du lec- teur... — Monsieur de Beaumarchais se moque-t-il de nous, avec son fastidieux commerce? — Non, non, lecteur, je ne m'en moque point. Mais votre fureur mesoulage:elles'amalgame avec la mienne; et je ne serai pas content que vous n'ayez fende eux pieds, de colère, tous ce- récits ! Ah ! -i beaucoup de gens le font, j'ai gagne cet odieux procès ! J'in- idignation !
En effet, citoyens, voyez cet. homme courageux, au prétendu bonheur duquel beaucoup li portaient envie ! Le trouvez-vous assez humilié? Si
vous voulez savoir comment, savoir | 'quoi il le
soutirait, ah ! je consens a vous l'apprendre.
J'avais voulu d'abord bien servir mon pays. Ma fortune était compromise : ces vexation- accumulées avaient tourné mon zèle en obstination surl'arrï- es fusils... — Tu ne veux pas que la nation les ait, parce que tu ne les fournis pas, disais-je; elle U s aura malgré toi !
Les dangers que j'avais courus, et ceux, hélas ! que je courais encore, changeaient mon courage en fureur. Ah ! la pauvre nature humaine! Mon amour-propre et l'orgueil s'en mêlaient! et puis je me disais: Si ces messieurs, avec les avantages d'un grand pouvoir, une grande cupidité, les
moyens de tout envahir...; s'ils gagnent sur i
le dessus, je ne suis que brutal: eux, ils sonl ti -- adroits. Le peuple est abusé: ils auront n. qu'ils veulent; et moi, je serai poignardé !
L'affaire alors changeant encon
cramponnai au succès. J'oubliai tout, an r-propre
et fortune, et ne voulus que réussir. Je ra] mou secours tout ce que la prudence a de subtil et de déiical : je dis: 11 faut fouler aux pieds la va- mt; . :st une cargaison d armes que j -ipromitia à mon pays : voila le but, il faut l'atteindre : tout le reste n'esl que moyens. Quand ils ne sonl pas mal- honnêtes, on peut les user tous pour arriver au but. Nous jetterons l'échafaud bas, quand le palais sera construit. Ménagi ces messieurs !