vieux conte arabe Sadak et Kalasrade, avec un type étrange brochant sur le tout, le personnage de Tarare, sorte de Figaro philosophe, libre penseur, encyclopédiste, physicien, mais peu chantant. C’était le système de Beaumarchais pour les opéras : beaucoup de tout : déclamation, philosophie, métaphysique, physique, puis, au besoin, décors et costumes — on lui en fit pour 50,000 livres — mais pas de musique, sauf une simple teinte discrète et transparente, qui permît de ne pas laisser perdre un seul mot de ses vers. « bref, une musique qui n’en fût pas une, » comme quelqu’un l’écrivait à Grimm ; Salieri le servit à point[1]. Il n’est resté de sa partition sur ce poëme à hautes et assommantes doctrines qu’un timbre de vaudeville : l’air des couplets de l’eunuque Calpigi au troisième acte : Ahi povero Calpigi.
Le succès « de ce monstre dramatique et lyrique[2], » le 8 juin 1787, n’en fut pas moins très-vif, tant, à cette avant-veille de 1789, on avait soif de philosophie à tort ou à raison, et surtout — l’on sait qu’elles ne sont pas épargnées dans Tarare — de déclamations contre la royauté et l’Église. On voulait, même en musique, manger du prêtre et du roi. Il y eut une foule énorme. La garde dut être plus que triplée sur le boulevard et dans le faubourg. Le théâtre de l’Académie royale de musique était alors en effet, depuis peu, où se trouve celui de la Porte-Saint-Martin. On n’avait pas tant espéré aux répétitions, souvent orageuses à cause des prétentions de Beaumarchais, avec qui il fallait toujours s’attendre à quelque coup de tête, « à quelque crânerie, » comme disait Dauvergne, le directeur, qui par ce seul mot le peint tout entier[3]. À l’une des dernières, qui était payante et où l’on avait sifflé, n’avait-il pas été sur le point de retirer la pièce dont il offrait d’ailleurs de payer tous les frais, dussent-ils monter à cent mille livres ? Heureusement on n’y voulut pas entendre. Il alléguait pour cette résolution, non-seulement ce que les sifflets lui avaient fait pressentir des mauvaises dispositions du public, mais les ennuis d’une autre affaire où il s’était jeté fort imprudemment pour n’y trouver qu’embarras et ennemis.
C’était celle de Kornman, dont la femme que ce banquier à deux consciences avait fait séquestrer, en alléguant un adultère longtemps toléré, et qui ne lui avait paru coupable que lorsque le séducteur Daudet de Jossant ne lui avait plus été utile, s’était vue enfin délivrée de sa prison, grâce à Beaumarchais et à son influence près du lieutenant de police Lenoir. Libre, ayant une fort riche dot qu’elle pouvait se faire rendre, elle avait bientôt appris que son mari, fort mal dans ses affaires, ne demandait plus qu’un rapprochement. Beaumarchais, resté son conseil, l’en détourna énergiquement, et, lui ayant donné les preuves de la banqueroute imminente de Kornman, la persuada de plaider contre lui décidément en séparation. Il répondit par une reprise de l’ancien scandale. Il attaqua en adultère, pour mauvaise conduite, sa femme qui l’attaquait en séparation pour mauvaises affaires. Beaumarchais et M. Lenoir, qui n’était plus à la Police, furent compris dans sa plainte comme complices, et le haineux Bergasse, que Kornman avait pris pour avocat, se chargea de les accommoder de la bonne manière. Il tint parole. La violence de ses factums, contre laquelle la verve d’ailleurs vieillissante de Beaumarchais se troubla et ne put tenir, fut telle, qu’il dut l’attaquer en calomnie. Les juges lui donnèrent raison. Le dernier factum de Bergasse fut supprimé comme injurieux et calomniateur, et on le condamna lui-même à mille livres de « dommages et indemnité. »
Beaumarchais avait cause gagnée, mais peu s’en faut qu’il ne fût lui-même perdu. Ce procès de Kornman lui avait attiré autant d’impopularité et d’inimitiés que ses premières