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pilalité si touchante et si douce, que j’en étais ému aux larmes. Par eux, à travers vingt détours et sans que l’on sût où j’étais, j’eus des nouvelles de Paris. Les massacres duraient encore, mais les Prussiens pénétraient en Champagne. J’oubliai mes dangers, et j’écrivis à M. Lebrun : h Do ma retraite, le i septembre 1792. Monsieur,

• Après avoir passé six jours en prison, soupçonné par le peuple de ne pas vouloir que les soixante mille fusils que fui arketes il pni/is pour lui depuis six mois en Hollande arrivent en France, n’est-il pas temps que je me justifie, en repoussant le tort sur tous ceux qui en sont coupables ? C’est ce que je fais en ce moment, par un grand mémoire destiné à l’Assemblée nationale, à qui je veux encore une fois faire choir les écailles des yeux. « En l’attendant, je vous adresse ma requête aux états de Hollande, du mois de juin, sur les fusils, sur leur déloyale conduite envers un négociant français. (Elle s’était égarée aux affaires étrangères, comme tout ce qu’on y renvoie.) J’ai écrit à M. la Hogue de revenu i I instant i Fans, puisqu lenfei qu : s’opposi ii ce qu’aucun bit u ne s, fasse pour ce uniheureux pays-ci, l’a encore empêché de s’embarquer pour la Hollande.

« Ah ! si les ministres savaient quel mal un seul quart d’heure d’inattention, de négligence, peut faire en ces temps malheureux, ils regretteraient bien le mois qu’ils viennent de nous faire perdre sur l’affaire de ces fusils !

« Et quant à moi, monsieur, après avoir reçu du comité de surveillance les plus fortes attestations sur mon civisme et sur ma pureté, d’après la lecture réfléchie des pièces accumulées dans mm) portefeuille su/ es armes, je me vois de nouveau poursuivi par la fureur du peuple et obligé de me cacher pour ne pas en être victime, tandis que ceux qui n’ont rien fait que nuire à ces opérations sont tranquilles chez eux, souriant de mes peines, et peut-être cherchant à les porter au comble ! Ce n’est pas vous, monsieur ; mais je les nommerai. « Vous m’avez demandé quels moyens je croyais meilleurs pour terminer cette interminable entreprise. Il n’y en a point d’autres, monsieur, que de suivre les errements tracés dans le traité fait avec MM. Lajard, Chambonas et les trois comités réunis ; di m point enchainert nFrqnce le vendeur qui doit vous les livrer, car cela est par trop étrange ! puis consulter M. de Maulde, conjointement avec M. la Hogue, sur les moyens de ruse que peut employer le commerce, puisque notre cabinet est trop faible pour prendre un parti firme contre les états de Hollande : enfin, de ne plus perdre des mois à essayer de me trouver en faute, quand les preuves crèvent les yeux sur mes travaux et sur mes sacrifices. On dirait, à voir la conduite que l’on tient en France envers moi, que la seule affaire importante soit de me ruiner, de me perdre, en se moquant que soixante mille armes arrivent ou n’arrivent point. Je vais demander des commissaires pour bien éplucher ma conduite et celle des autres par contre-coup. Il est temps, et bien temps, QUE CET HORRIBLE JEU FINISSE ! « Je vous conjure, au nom de la patrie, de songer au cautionnement, au misérable cautionnement, si minime en affaire si grave ! Si l’on ne m’a pas égorgé avant que M. de Maulde arrive, je me ferai un sévère devoir de venir, à tuas risques, au rendez-vous que vous m’aurez donné.

« Daignez lire ma requête aux états de Hollande, et devenez mon avocat contre les malveillants d’une affaire aussi capitale.

« Je suis avec respect,

« Monsieur,

« Votre, etc.

« Signé Beaumarchais. »

P. S. « Dans ce moment, où le pillage peut se porter sur ma maison, j’ai fait mettre en dépôt, chez un homme public, le portefeuille de cette affaire. Je puis périr, et ma maison : mes preuves ne PÉRIRONT POINT. »

Je ne sais si ce furent les grands mots que je répétais dans ma lettre, de mémoire à l’Assemblée nationale, où je repousserais les torts sur ceux qui s’en rendaient coupables, qui me valurent enfin, le 6 septembre, ce billet des bureaux, au nom de M. Lln’iiu :

a Paris, le 9 septembre 1792, l’an IV* de la liberté. o Le ministre des affaires étrangères a l’honneur de prier M. de Beaumarchais de venir, demain vendredi, le matin à neuf heures, à l’hôtel de ce département, pour I imini r l’affaire des fusils. Le ministre désire que le tout soit réglé avant dix heures du matin vous l’entendez, lecteurs ! il ne fallait qu’une heure), afin d’avoir le temps d’en prévenir M. de Maulde, qui a reçu ordre de ne point partir de la haye. C’est demain jour de courrier pour la Hollande. »

Par les détours qu’il fallait prendre pour arriver à moi sans que je fusse dépisté, ce billet ne m’y vint que le lendemain à neuf heures : c’était celle du rendez-vous que M. Lebrun me donnait ; ce qui le rendait impossible, étant à cinq lieues de Paris, ne pouvant m’y rendre qu’à pied, seul, à travers les plaines labourées, pour n’y arriver que la nuit.

Deux choses, comme on juge, me frappèrent dans ce billet. La première, qu’il se pouvait qu’on se fût bien douté qu’étant caché hors de Paris je ne viendrais pas en plein jour m’exposer à me faire tuer, et qu’alors on dirait que c’était bien ma faute si l’affaire n’était pas finie, ayant manqué le rendez-vous qu’on me donnait pour terminer.

La seconde est qu’on m’y disait que l’on avait contremandé le voyage de M. de Maulde, lequel avait