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dit un mot et s’en va, me laissant là sans nulle solution. pauvre France ! ô pauvre France !

« Pardonnez-moi mes doléances, et donnez-moi un rendez- vous, monsieur : car, par ma foi, je suis au désespoir.

ii Signé Beaumarchais. »

Point de réponse.

On voit avec quelle patience j’oubliais mes maux personnels, pour me livrer tout entier à ceux de la chose publique. Pourtant le lendemain de ma sortie de la prison j’avais été au comité de surveillance de la mairie chercher l’attestation promise.

Jugez de mon étonnement, lecteurs ! Tous les bureaux étaient fermés, les scellés sur toutes les portes et ces portes barrées de fer. « Qu’est-il arrivé ? dis-je aux gardes. --Hélas ! monsieur, tous ces messieurs sont enlevés de leurs fonctions. — Et cent cinquante prisonniers qui attendaient là-haut, dans des greniers, sur de la paille, qu’on leur apprit pourquoi ils étaient là ? — On les a conduits en prison, on en a bourré les cachots. — Ô Dieu ! me dis-je ; et plus personne de ceux qui les ont arrêtés ! Comment cela linira-t-il ? qui les retirera de là ? »

Je m’en revins chez moi le cœur serré, disant : Manuel ! ô Manuel ! quand vous me disiez : Sortez vite, j’étais loin de m’imaginer qu’un jour plus tard il ne serait plus temps ! Grâces, grâces vous soient rendues, mon très-généreux ennemi ! aucun ami ne m’a servi si bien.

Je réunis les deux attestations du comité de surveillance en une, puisque personne ne pouvait plus le faire, et je la fis promptement afficher. La voici :

ci Attestation donnée à P.-A. Caron Beaumarchais par le comité de surveillance et de salut public, servant de réponse à toutes les dénonciations calomnieuses, à toutes les listes de proscription, notamment à celle imprimée des électeurs de 1791, qui ont été au club de la Sainte-Chapelle, où il est un chammi nt inséré.

ci Ces vingt-huit et trente août mil sept cent quatre-vingt-douze, l’an IV de la liberté et le [° r de

Y ;j :ilili nous, administrateurs de police, membres 

iln comité de surveillance et de salut public, séant à la mairie, avons examiné avec la plus scrupuleuse attention tous les papiers du sieur Caron Beaumarchais. Il résulte de cet examen qu’il ne s’y est trouvé aucune pièce manuscrite ou imprimée qui puisse autoriser le plus léger soupçon contre lui, ou faire suspecter son civisme.

Nous attestons, en outre, que plus qou examinons l’affaire de l’arrestation dudit sieur Caron Beaumarchais, plus nous voyons qu’il ! n’est nullement coupable des faits à lui imputés, et n’est cas h i spect : pour quoi nous l’avons renvoyé en liberté.

Sous reconnaissons avec plaisir que la dénonciation faite contre lui, et qui a motivé l’apposition des scellés chez lui, et l’emprisonnemenl de sa personne à l’Abbaye, n’oioit point de fondement. ci Nous nous empressons de mettre sa justification dans tout son jour, et de lui procurer la satisfaction qu’il a droit d’attendre des mandataires du peuple.

" Nous croyons qu’il a droit de poursuivre son dénonciateur devant les tribunaux, et avons remis audit sieur Caron ses registres et papiers. " Fait à la mairie les jour et an susdits. Les administrateurs de police, membres du comité de surveillance et de salut public.

« Signé, Panis, Leclerc, Duchesne, Duffort, Martin, etc. "

Le dimanche 2 septembre, n’ayant aucune réponse du ministre Lebrun, j’apprends que la sortie de Paris est permise : fatigué de corps et d’esprit, je vais dîner à la campagne, à trois lieues de la ville, espérant de revenir le soir. À quatre heures l’on vient nous dire que la ville était refermée, qu’on sonnait le tocsin, battait la générale, et que le peuple se portait avec fureur vers les prisons, pour massacrer les prisonniers. C’est bien alors que je criai, dans ma gratitude exaltée : Manuel ! ô Manuel ! Mon cerveau martelait comme une forge ardente. Je crus que j’en deviendrais fou ! Mon ami m’invita d’accepter un gîte chez lui. Le lendemain, à six heures du soir, un commandant di 1 - gardes nationales des environs vient lui dire tout bas : << On sait que vous avez chi , • i M. de Beaumarchais : les tueurs l’ont manqué cette nuit dans Paris ; ils doivent venir la nuit prochaine ici, l’enlever de chez vous ; et peut-être m’obligera-t-on de m’y rendre avec toute ma troupe. J’enverrai dans une heure chercher votre réponse : dites-lui bien qu’on sait qu’il y a des fusils dons srs rans, il soixante milh en Hollande, qu’il ne i eut pas que nous ayons, quoiqi on i.i.s lui ait rien payés. Aussi c’est bien horrible à lui ! — Il n’y a pas, dit mon ami, un mot de vrai à Ions ces roules. Je vais lui parler au jardin. > Je le vois arriver à moi, la figure pâle et défaite. lime l’ail son triste récit : ci Mon pauvre : ami, dit-il, qu’allez-vous faire ? — D’abord, ce que je dois à l’ami qui me donne hospice : quitter votre maison pour qu’elle ne soit point pillée. Si l’on vient chercher la réponse, dites que l’on est venu me prendre, que je suis parti pour Paris. Adieu. Gardez mes gens et ma voiture, et moi je vais aller à ma mauvaise fortune. Ne disons pas un mot de plus ; ivi ’nez au salon, n’y parlez plus de moi. » Il m’ouvre une petite grille, et me voilà marchant dans les terres labourées, fuyant tous les chemins. Enfin, dans la nuit, par la pluie, ayant fait trois lieues de traverse, je trouvai un asile, chez de bonnes gens de campagne, a qui je ne déguisai rien et dont je fus accueilli avec une bos-