le scellé d’une prison incommode et malsaine, par l’affluence trop excessive des prisonniers qu’on y envoie.
« Forcé, messieurs, de rendre à la nation le compte le plus rigoureux de ma conduite en cette affaire, qui ne devient fâcheuse que par les torts d’autrui, j’ai l’honneur de vous prévenir que si vous refusez la justice de m’entendre en mes défenses et mes moyens d’agir, je me verrai forcé, à mon très-grand regret, d’adresser un mémoire public à l’Assemblée nationale, où, détaillant les faits, tous appuyés de pièces inexpugnables et victorieuses, je ne serai que trop bien justifié ; mais la publicité même de mes défenses sera le coup de mort pour le succès de cette immense affaire. Et m’emprisonner au secret ne pourra garantir personne de mes réclamations pressantes, puisque mon mémoire est déjà dans les mains de quelques amis.
« Comment, messieurs, nous manquons d’armes ! Soixante mille fusils seraient depuis longtemps on France, si chacun eût fait son devoir. Moi seul je l’ai fait vainement ; et vous ne hâtez pas l’instant de connaître les vrais coupables ! Je vous ai répété, messieurs, que j’offrais ma tête en otage des soins que je me suis donnés, des sacrifices que j’ai faits pour amener ces grands secours : je vous ai dit que je mettais l’horrible malveillance au pis ; et parce que j’ai demandé le nom de mes vils délateurs et le bonheur de les confondre, au lieu de continuer mon interrogatoire à peine commencé, vous m’avez fait rester trente-deux heures complètes, sans voir revenir au bureau ceux qui devaient m'interroger ! Et, sans la douce compassion qui a pris quelque soin de moi, j’aurais passé deux jours et une nuit sans savoir où poser ma tête ! Et l’affaire des fusils est là sans aucun éclaircissement ! et le seul homme qui puisse vous éclairer, vous l’envoyez, messieurs, au secret dans une prison, quand l’ennemi est à vos portes ! Que feraient de plus, pour nous nuire, nos implacables ennemis ? un comité prussien ou autrichien ?
« Pardonnez la juste douleur d’un homme qui
attribue ces torts plutôt à de grands embarras qu’à
la mauvaise volonté. Mais c’est qu’on ne fait rien
sans ordre, et que pendant ces cinq malheureux
jours j’ai été effrayé du désordre qui règne dans l’administration
de cette ville.
« Signé Caron de Beaumarchais. »
Le lendemain 29 août, sur les cinq heures du soir, nous philosophions tristement. M. d'Affry, ce vieillard vénérable, était sorti, la veille, de l’Abbaye. Un guichetier vient m’appeler : « Monsieur Beaumarchais, on vous demande ! — Qui me demande, mon ami ? — M. Manuel, avec quelques municipaux. » Il s’en va. Nous nous regardons. M. Thierry me dit : « N’est-il pas de vos ennemis ? — Hélas ! leur dis-je, nous ne nous sommes jamais vus : il est bien triste de commencer ainsi ; cela est d’un terrible augure ! Mon instant est-il arrivé ? » Chacun baisse les yeux, se tait : je passe chez le concierge, et je dis en entrant :
» uni de vous tous, messieurs, se nomme M. Manuel ?
— C’est moi, nie dit un d’eux eu s’avançant.
— Monsieur, lui dis-je, nous avons eu, sans nous connaître, un démêlé public sur mes contributions. Non-seulement, monsieur, je les payais exactement, mais même celles de beaucoup d’autres qui n’en avaient pas le moyen. Il faut que mon affaire soit devenue bien grave pour que le procureur syndic de la commune de Paris, laissant les affaires publiques, vienne ici s’occuper de moi ? « — Monsieur, dit-il, loin de les laisser là, c’est pour m’en occuper que je suis dans ce lieu ; et le premier devoir d’un officier public n’est-il pas île venir arracher de prison un innocent qu’on persécute ? Votre dénonciateur Colmar est reconnu un gueux ; sa section lui a arraché l’écharpe, dont il est indigne : il est chassé de la commune, et je .’mis même en prison. On vous donne le droit de le silice en toute justice. C’est pour mus faire oublier notre débat publie, que j’ai demandi à lu communt de m’ absenter une heure pour venir vous tirer d’ici. Sortez a l’instant de ce lieu ! »
Je lui jetai mes bras au corps, sans pouvoir lui dire un seul mot : mes yeux seuls lui peignaient mon âme ; je crois qu’ils étaient énergiques, s’ils lui peignaient tout ce que je pensais ! Je suis d’acier contre les injustices ; et mon cœur s’amollit, mes yeux fondent en eau sur le moindre trait de bonté. Je n’oublierai jamais cet homme ni ce moment-là. Je sortis.
Deux officiers municipaux (les deux qui avaient levé mes scellés) m’emmenèrent dans un fiacre, de. vinez où, lecteur’ ?... Non : il faut vous le dire ; vous le chercheriez vainement !... Chez M. Lebrun, ministre des affaires étrangères, qui sortit de .son cabinet et me vit...
Arrêtons-nous encore une fois. Ma cinquième et dernière partie ne laissera rien, citoyens, ;i désirer sur ma justification promise, et, j’ose espérer, attendue.
CINQUIÈME ÉPOQUE
citoyens législateurs ! est-il donc vrai qu’en invoquant votre justice je doive dissimuler une partie des faits qui me disculpent ; m’amoindrir en plaidant ma cause, à peine d’offenser des hommes qui influent ? Il faut que quatre mois d’absence aient bien faussé mon jugement sur l’acception connue du grand mot liberté, puisque je suis si peu d’accord avec mes amis de Paris sur les points importants de la conduite que je dois tenir dans une affaire qui détruit mon existence de citoyen, et porte une atteinte mortelle a cette liberté, à cette égalité de droits que nos lois m’a* valent garanties !
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