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allons voir, lui dis-je, si les ministres sont de bonne foi : car enfin les trois comités ont, comme moi, les yeux ouverts sur eux. La Hogue fut aux comités ; il y plaida (au grand étonnement de tous) la nature des obstacles français et hollandais qui arrêtaient ces fusils à Tervère. Le fond de son discours, tiré de ma lettre aux ministres, de ma requête aux états de Hollande, de leur pitoyable réponse, qui étaient là sur le bureau, et jetaient sur toute l’affaire un jour lumineux et pressant ; son discours, sa conclusion, furent : qu’il y avait un avantage immense pour toi (comme négociant) que l’on me rendît maître de disposer de mes fusils ; que sous huit jours alors je remettrais les cinq cent mille francs d’assignats comme je les avais reçus, parce que je recevrais dans quatre jours, au prix de plus de douze florins, les ducats bien comptés de la masse entière des fusils. Il ajouta qu’on lui avait offert, à lui, mille louis et plus, pour qu’il tentât de m’y déterminer. Mais il assura bien messieurs des comités que (comme patriote) je les laissais les maîtres de juger, non dans mon intérêt, mais dans celui de la nation, si ce parti convenait à la France.

Pouvait-il s’expliquer plus généreusement en mon nom ?

M. de la Hogue entendit la lecture de la lettre honorable de notre ministre à la Haye, que M. Chambonas avait eu l’équité d’envoyer aux trois comités. Oui, honorable à mon patriotisme ! et qui me valut de leur part les grands éloges dont j’ai parlé dans ma pétition de défense. Or, cette lettre, la voici ; je m’en suis fait donner une bonne expédition par les affaires étrangères, quand elles n’étaient pas si étranges à mon égard qu’elles le sont devenues depuis que M. Lebrun en fait son patrimoine :

M. de Maulde à M. Dumouriez, ministre des affaires étrangères.

« À la Haye, le 2 juin 1792, l’an IV de ia liberté.

« Monsieur,

« La présente vous sera remise par M. de la Hogue, associé de M. Beaumarchais pour l’acquisition des armes qui sont à Tervère. Les tentatives qu’il a faites jusqu’à présent, n’ayant pu en obtenir l’exportation, ont été infructueuses, malgré tout le zèle qu’il a pu y mettre. Mais je dois rendre justice à son patriotisme ainsi qu’à celui de M. Beaumarchais, en disant qu’ils ont refusé des offres infiniment avantageuses, et au moyen desquelles ils auraient recouvré, même avec un fort bénéfice, tous leurs capitaux, par la seule raison que c’étaient des ennemis de l’État qui leur faisaient ces propositions.

« Je m’empresse, monsieur, de leur rendre cette justice, ne doutant pas que vous la prendrez en d’autant plus grande considération, qu’en éprouvant un retard pour la rentrée de leurs fonds, ils ont, par leur refus constant, rendu à la nation un service essentiel, en empêchant au moins ces armes d’être dans les mains des ennemis.

« Le ministre plénipotentiaire de France à la Haye,

« Signé Emm. de Maulde. »

J’ai demandé aussi aux affaires étrangères expédition de la lettre que le ministre Chambonas avait écrite au président des comités, en leur envoyant mon mémoire ; et je la joins ici pour établir mon corps de preuve, à votre gré, Lecointre, et sans lacune ; la voici :

Le ministre des affaires étrangères aux trois comités réunis,

« Du 11 juillet 1792.

« Monsieur le président,

« Le moment où les trois comités, militaire, diplomatique et des douze, sont réunis pour aviser à tous les moyens d’augmenter les forces intérieures de l’empire, me paraît propre à leur soumettre une question aussi difficile qu’essentielle, et sur laquelle le ministère prononcerait avec plus de confiance, s’il connaissait l’avis des membres qui composent ces comités.

« En vous adressant, monsieur le président, le clair et court mémoire qui a été remis à M. Lajard et à moi par M. Beaumarchais, négociant et propriétaire des soixante mille fusils qui font l’objet de ce mémoire, et dont l’extradition est devenue très-difficile depuis la déclaration de guerre, je crois pouvoir me dispenser d’entrer dans tout autre détail que celui de vous assurer que tous les efforts patriotiques du négociant à ce sujet sont, depuis trois grands mois, absolument infructueux, et qu’il les a portés aussi loin qu’un particulier peut le faire par le sacrifice de ses propres intérêts. Il demande avec raison une prompte décision : la lecture du mémoire suffira ; et tous les éclaircissements que l’officier par qui j’ai l’honneur de vous l’envoyer est seul en état de donner, ne laisseront rien à désirer aux trois comités réunis sur cette importante affaire. Cet officier a traité lui-même cette affaire en Hollande, au nom de M. Beaumarchais, son ami, tant avec le vendeur, le gouvernement et l’amirauté, qu’avec notre ministre à la Haye, lequel a été spécialement chargé par mon prédécesseur de réclamer ces armes comme la propriété d’un négociant français, injustement retenue en Hollande ; grief dont il demandait à grands cris le redressement à la France. L’objet est capital, sous le double point de vue de faire entrer enfin ces armes en les réclamant comme une propriété devenue nationale, et d’empêcher surtout que nos ennemis ne parviennent à s’en emparer avec force, si elles restent plus longtemps celle d’un simple négociant, comme il en paraît menacé.