devaient au bien des affaires. Hélas ! la maladie qu’on nomme temps perdu me semble de nouveau atteindre nos ministres. C’était pure incurie de la part des anciens ; c’est sûrement surcharge de la vôtre : mais le mal n’existe pas moins.
« Depuis trois mois, monsieur, sur une affaire regardée comme excessivement majeure, je me vois accroché à tous les genres d’indécision qui rendent nuls les agents les plus vifs. Pour cette interminable affaire, j’use le troisième ministre qui se soit chargé de la guerre.
« Monsieur, nous manquons de fusils ; de toutes parts on en demande à cor et à cri.
« Soixante mille, acquis par moi, sont au pouvoir du ministre : tant d’or, tant d’or déplacé de chez moi, deux vaisseaux en panne en Hollande, et qui y sont depuis trois mois ; quatre ou cinq hommes en voyage ; une foule de mémoires par moi présentés coup sur coup ; un très-court rendez-vous, inutilement demandé, pour y prouver combien les obstacles sont misérables ; un courrier qui mange son sang depuis vingt jours dans mes foyers, du chagrin d’un séjour forcé, et moi qui sens brûler le mien, faute d’obtenir une réponse sans laquelle il ne peut repartir ; d’autre part, les menaces que je reçois de tous côtés, d’accusation de trahison : comme si, par méchanceté, je retenais en Hollande des armes que je bride de faire entrer en France ; tant de frais, de contradictions, altèrent à la fois et ma fortune et ma santé. « Si c’était un client qui vous demandât une grâce, je vous dirais : Envoyez-le promener ! mais c’est un citoyen zélé qui voit périr une affaire importante, faute, depuis dix jours, d’obtenir un quart d’heure pour la couler à fond avec les trois ministres de la guerre, de la marine et de nos affaires étrangères ; c’est un grand négociant qui fait d’immenses sacrifices pour aplanir tous les obstacles commerciaux, sans recex oir aucun appui sur les obstacles politiques, qui nepeuvent être levés que par le concours des ministres !
Mais, quelle que soit pourtant votre résolution, ne faut-il pas, messieurs, que je la sache, pour travailler en conséquence ? et, soit que vous vous décidiez pour ou contre la réussite, des choses lu si capitales peuvent-elles rester en suspens ? Dans un temps comme celui-ci, plus on tarde à prendre un parti, plus les embarras s’accumulent. Il faut pourtant que je me justifie aux yeux de la nation entière sur mes efforts infructueux, si je ne veux pas voir bientôt mettre le feu à ma maison. Notre peuple entend-il raison quand des brigands lui échauffent la tète ? et voilà ce qui me menace.
« Au nom de ma sûreté [de la vôtre peut-être), assignez-moi, monsieur, le rendez-vous que je demande : dix minutes bien employées peuvent empêcher bien des malheurs ! Elles peuvent surtout mettre tous nos ministres en état de satisfaire à des demandes d’armes qu’il ne tient qu’à eux, oui, qu’à eux, de faire venir en quatre joui’s au Havre.
« Signe Caron de Beaumarchais. »
M. de Graves était remercié ; M. Servan avait sa place. D’une part, il fallait instruire ce nouveau ministre ; de l’autre, la malveillance intérieure commençait à souffler dans le comité des ministres. J’écris, le 14,à M. Servan la lettrequi suit. Je priai instamment M. Gau de la lui remettre, et je saisis cette occasion d’attester qu’en toute cette affaire je n’ai eu qu’à me louer de la loyale franchise et des soins obligeants de M. Gau. 11 n’y est plus, et nul intérêt ne m’engage à le distinguer de ce que je uomme les bureaux.
A M. Servan, ministre de la guerre. « Monsieur,
" l.e fardeau très-pesant du ministère de la guerre, dont votre patriotisme a chargé votre tète, vous expose souvent à des importunités fatigantes. Je voudrais bien ne pas accroître le nombre de ceux qui vous tourmentent ; mais l’urgence d’une décision de votre part sur la retenue de soixante mille fusils qui vous appartiennent en Zélande, et que les Hollandais empêchent de sortir du port, où deux vaisseaux attendent depuis trois mois, nie force de vous demander l’honneur et la faveurd’une audience de dix minutes : il n’en faut pas une de plus pour couler cette affaire à fond. Mais l’état où la malveillance commence à la représenter exige une grande attention de votre part.
<■ Depuis vingt jours, monsieur, un courrier venu de la Haye, et qui se désole à Paria, faute d’un mot qu’il puisse emporter et partir, augmente encore mes embarras. Depuis dix jours je sollicite en vain d’être entendu par vous et deux autres ministres : car moi seul peux vous faire connaître le danger d’un plus long silence sur la décision d’une affaire que les ennemis de l’État dénaturent, et veulent tourner contre moi et contre le ministre actuel. Je vous demande donc, avec l’instaure d’un citoyen inquiet, une audience courte et prochaine. Peut-être puis-je tout aplanir ; mais cerle~ je iule puis, monsieur, sans vous avoir communique mes vues. Daignez me faire passer votre mot par M. Gau, que j’ai prié de vous remettre ma supplique. Agréez le dévouement très-respectueux de <i Beaumarchais. »
Point de réponse. Je renvoie le 17 un double de ma lettre ; j’obtiens enfin un rendez-vous pour le 18 au soir : mais je n’y gagnai rien. M. Servan me dit (oui nel que, cettt affaire n’étant point de son bail, il n’écrirait pas un seul mol qui pût y apporter le moindre changement ; qu’au surplus il en