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et la Hollande étant une puissance amie, cette exigence, ridicule si elle n’eût pas été odieuse, ne pouvait être et n’était en effet (comme la suite l’a prouvé) qu’une mauvaise difficulté suscitée pour servir l’Autriche, laquelle n’avait pas plus de droits que la Hollande sur ces armes : car

L’acquéreur hollandais, qui les tenait de l’empereur, les lui avait payées comptant. On avait exigé de lui une caution de cinquante mille florins d’Allemagne, que les fusils iraient en Amérique. Il avait fourni la caution ; et s’il ne prouvait pas, par des connaissements ou acquits déchargés, que les armes y avaient touché, la peine était au bout : il perdait cinquante mille florins. Là finissait le droit de l’empereur.

Cet acquéreur avait vendu les armes, en retenant son bénéfice, à des acquéreurs étrangers, qui, sans les lui avoir payées, les avaient revendues, avec leur bénéfice, à mon libraire de Bruxelles, lequel aussi, sans les avoir payées, me les avait vendues sous espoir d’un bon bénéfice ; et moi qui n’en voulais que pour armer nos citoyens d’Amérique ou d’ailleurs, au gré de nos besoins pressants, en subvenant moi seul à toutes ces primes de concession, et payant le premier acquéreur, qui seul avait délié sa bourse, j’étais aux droits de tout le monde, surtout à ceux du Hollandais. C’était lui seul aussi que je devais couvrir du cautionnement fourni par lui. Seul il avait le droit de l’exiger de moi, comme engagement commercial du marché qu’il avait rempli. Mais la Hollande et moins encore l’Autriche, dont tous les droits étaient éteints, n’avaient aucun droit sur ces armes : celle-ci néanmoins avait son influence : et celle-là, sa complaisance. Voilà, monsieur Lecointre, la question bien posée. Et c’est maintenant là-dessus que vont rouler tous les débats, et non sur les prétendus droits ni d’un Provins ni d’aucun autre, comme vous l’avez dit dans votre dénonciation, où il n’y a pas un mot qui ne soit une erreur de fait. Quant à celles de raisonnement, je ne dois mettre ici nulle pédagogie.

Ce malheureux Provins, qui n’a jamais payé ses traites, n’a mis et n’a pu mettre aucune entrave à l’extradition de nos armes ; on se serait trop moqué de lui ! aussi s’en est-il bien gardé. Mais je vous apprendrai ce qu’on lui a fait faire à Paris (et non en Hollande), pour nuire à l’arrivée des fusils dans nos ports : et vous serez un peu honteux de votre bonne et pieuse crédulité !

Lisez d’abord, pour vous en assurer, la première requête donnée à cette amirauté de Middelbourg par la Hogue, agissant pour nous deux, afin qu’ils fussent encore un peu plus dans leur tort : vous y verrez s’il est question de tous les honnêtes gens dont vous avez parlé !

Le 20 avril, au reçu du courrier qui m’annonçait les intentions perfides que la Hollande avait de nous nuire, je me hâtai d’écrire au ministre des affaires étrangères, Dumouriez, la lettre suivante, en forme de mémoire :

À monsieur Dumouriez, ministre des affaires étrangères.

■Paris, ce 12 avril 1792.

• Monsieur,

« Un courrier qui m’arrive de la Haye me force d’avoir recours à vous. Voici le fait :

« J’ai acheté en Hollande de cinquante à soixante mille fusils et pistolets. Je les ai bien payés : mon vendeur me les livre à Tervère en Zélande, où deux navires sont prêts à les recevoir ; mais, à l’instant de partir, l’amirauté’moi une caution de trois fois la voleur île ces armes, pour s’assurer, dit-elle, qu’elles sont par moi destinées pour l’Amérique et non pour l’Europe.

« Cette difficulté, faite à un négociant français par une nation amie de la France, a forcé mon correspondant de me dépêcher un exprès. Personne ne sachant mieux que vous, monsieur,</ » <’partie de ces fus, in est destinée pour nos îles du golfe, puisque j’en ai instruit l’administration française comme d’une chose qui pouvait lui être agréable, ces armes y tenant lieu de celles qu’on leur expédierait de France, et le reste étant destiné pour le continent d’Amérique qui arme contre les sauvages, je vous supplie, monsieur, de vouloir bien écrire à votre chargé d’affaires auprès des États-Généraux de faire ces ser nue difficulté qui me relient deux navires à la planche, et des fonds considérables en suspens. (i La nation hollandaise n’est pas avec nous dans les termes où la justice que je demande sur celle mienne propriété puisse l’aire quelque difficulté, r-i vous avez la bonté de la lui demander pour un négociant français dont la loyauté est connue. Vous obligerez celui qui est avec respect, « Monsieur,

h Votre, etc.

u Signé Caron de Beaumarchais. >

Dumouriez mit à sa réponse toute la grâce de l’ancienne et franche amitié ; la voici : « Paris, ce 21 avril 1792.

« Je suis bien invisible, au moins autant que vous êtes sourd, mon cher Beaumarchais. Cependant j’aime à vous entendre, surtout quand vous avez des choses intéressantes à me dire. Soyez donc demain à dix heures chez moi, puisque des deux c’est moi qui ai le malheur d’être le ministre. Je vous embrasse.

Signé Dumouriez. »

J’y fus le lendemain matin. La chose bien expliquée, il me demanda un mémoire officiel I. pour qu’il en conférât avec les autres ministres. J’en li— un. j’en fis deux, enfin j’en fis cinq différents dans le cours de cette journée, nul n’étant, selon ces me-