Page:Beaumarchais - Œuvres complètes, Laplace, 1876.djvu/603

Cette page n’a pas encore été corrigée

trera, ô citoyens, ou l’erreur ou l’horreur de cette funeste imputation.

3o Je déclare que je n’ai point fait partir deux vaisseaux du port de la Haye : 1o parce qu’il n’y a point de port à la Haye, ce qui n’est de leur part qu’une ignorance géographique ; 2o parce que ces fusils ont passé directement des citadelles de Malines et Namur dans les magasins du vendeur, qui depuis sont les miens, à Tervère en Zélande, par charrois, et sur des bélandres, et non sur des vaisseaux à moi. Cette annonce est aussi ridicule que si l’on disait, législateurs, que j’ai fait venir ces fusils de Versailles à Paris sur des vaisseaux de la rivière de Somme, en passant par Bordeaux. La Zélande est plus près de Bruxelles que de la Haye, où il n’y a point de port, comme tout le monde sait, excepté ces messieurs.

4o Je déclare que jamais ces fusils n’ont été ni pu être arrêtés dans des vaisseaux à moi (où ils n’ont jamais été), ni dans mes magasins, où ils ont toujours demeuré, par un nommé Provins, ni par aucun autre homme qui prétendît avoir droit sur ces armes : car personne n’a droit sur aucune marchandise (comme M. Lecointre le sait) que celui qui, l’achetant, la paye ; et c’est ce que j’ai fait moi seul, exclusivement à tous autres.

5o Je déclare que jamais ni un nommé Provins, ni aucun autre acheteur de ces armes, sans les payer antérieurement à mon traité (car ils sont au moins cinq ou six) ; je déclare, dis-je, qu’aucun n’a été dans le cas de me céder le droit qu’il n’avait pas sur aucune demande que je lui en aie faite.

Il est aussi trop ridicule de me faire acheter, à moi, haut négociant français, des armes d’un étranger, à qui je les ai bien payées, pour me faire jouer ensuite, à la Convention nationale, le stupide rôle du solliciteur des prétendus droits d’un failli.

Je déclare à mes juges, et je le prouverai, qu’après avoir loyalement traité avec le seul et vrai propriétaire de l’acquisition des fusils, aux conditions civiques et honorables que je mettrai sous vos yeux, citoyens ; qu’après les avoir bien payés, il n’est resté d’autres difficultés, sur l’extradition de ces armes du port de Tervère pour le Havre, que celles : 1o que le gouvernement de Hollande, vivement sollicité par celui de Bruxelles, m’a suscitées, non par haine pour ma personne, mais dans l’espoir de nuire à notre France, au service de laquelle ils présumaient que ces armes étaient consacrées.

2o Je vous déclare, et je le prouverai encore, que des difficultés bien plus insurmontables, provenant de Paris, du fond de ces intrigues que l’on appelle en France les vilenies bureaucratiennes, n’ont cessé d’arrêter cette importante cargaison d’armes, depuis le 3 avril jusqu’au 16 décembre où j’écris, dans mes magasins en Zélande, par toutes les voies odieuses que j’expliquerai fort au long ; et que, plus malveillants que la Hollande et que l’Autriche, ils ont forgé tous les obstacles qui ont arrêté vos fusils. Car, de quelque patriotisme qu’un citoyen soit animé pour l’intérêt de notre France, sachez, législateurs, que la grande, l’unique et l’irréfragable maxime est dans ces bureaux-là : Nul ne fournira rien, hors nous et nos amis.

Si je ne prouve point toutes ces vérités au gré du lecteur étonné, je consens de bon cœur à perdre les fusils ; et j’en fais présent à la France, quoiqu’un tel don me conduise à la ruine.

Je déclare que je n’ai jamais feint que deux vaisseaux à moi eussent été arrêtés par ordre du gouvernement hollandais ; que je n’ai jamais réclamé en conséquence une indemnité de cinq cent mille francs ; que je n’ai jamais obtenu une telle indemnité : de sorte qu’ici la mauvaise foi passe toutes les bornes permises.

Je déclare au contraire que, loin d’avoir d’argent à la nation, ce sont les hauts seigneurs du département de la guerre qui, depuis le 5 avril dernier, ont à moi deux cent cinquante mille livres très-réelles, desquelles sans pudeur, malgré vingt paroles données, ils ne m’ont pas permis d’user pour vous faire arriver de Hollande tous ces fusils retenus à Tervère.

Car lorsque le ministre de Graves, à qui je ne reproche rien, me fit remettre pour cinq cent mille francs d’assignats, mais nullement pour une indemnité, lesquels, réduits en bons florins de banque, ne me rendirent pas trois cent mille livres ; moi, je lui déposai, en sûreté de cette somme, pour sept cent cinquante mille francs de vos propres contrats, que je vous ai payés en beaux louis d’or, sur lesquels nulle part il n’y avait rien à perdre, et que vous avez garantis de la nation à la nation.

Or, mes deux cent cinquante mille francs réels, et au delà de ce qu’il fallait pour couvrir leurs cinq cent mille francs d’une valeur aussi précaire, ils les ont encore dans leurs mains. Qu’on m’apprenne donc pourquoi les scellés sont chez moi. La garantie de nos propriétés n’est-elle plus qu’un jeu barbare pour les piller plus sûrement ? Fusils livrés ou non, soit par ma faute ou par la leur, suis-je donc votre débiteur pour saisir ainsi tous mes biens ? ou plutôt n’est-ce donc pas vous qui êtes le mien dans cette affaire ?

Et quand on vous fait faire l’énorme faute de renoncer à de fort bons fusils, qui sont pour vous la chose la plus nécessaire ; si l’on croit vous faire punir le citoyen qui vous les destina, quand les Anglais défendent qu’on vous porte aucunes munitions de guerre, on vous trompe, citoyens : c’est vous-mêmes que vous punissez. Car, en sacrifiant toutes les pertes que me causent neuf mois de retard, des courses, des dépenses occasionnées par leur brigandage, ne vaudrait-il pas mieux pour moi, si je cesse un instant d’être un bon citoyen pour me tenir dans mon état de négociant, d’avoir soixante mille fusils que toute l’Europe, et même certaine partie de l’archipel américain, qu’on vient