avait fait parmi nous un tel abus du style injuriel, qu’il en avait perdu sa force. Je crus donc que la vérité, que la raison, assaisonnée d’un peu de douce moquerie, était ce qui convenait le mieux pour bien classer mon dénonciateur. Le peuple lut et rit, et fut désabusé ; et moi je fus sauvé encore cette fois-là.
Mais ceux qui avaient mis le législateur Chabot en œuvre ne rirent point de mon dilemme ; ils me gardèrent toutes les horreurs dont ils se rassasient encore, et celle-ci n’est pas une des moins piquantes pour eux.
Posons maintenant la question.
Ai-je été traître à ma patrie ? ai-je cherché à la piller comme les gens qui la fournissent… ou la font fournir, c’est tout un ? C’est ce que je m’apprête à bien éclaircir devant vous, ô citoyens législateurs ! car je ne vous fais pas l’injure de supposer qu’après m’avoir décrété sans m’entendre, c’est-à-dire qu’après avoir mis ma personne en danger, ma famille dans les pleurs, mon crédit en déroute, et mis mes biens en saisie, sur quatre phrases indigestes d’un dénonciateur trompé, vous repousserez mes défenses, dont cette pétition est la première pièce. Elles sont les défenses d’un très-bon citoyen, qui ne le prouverait pas moins à la face de l’univers, quand vous ne l’écouteriez pas ; ce que je ne présume point, car la justice est d’intérêt commun. Et, croyez-moi, législateurs, dans l’état où sont nos affaires, il n’en est pas un parmi vous dont la tête, aujourd’hui garantie, ne puisse un jour courir l’horrible chance que la scélératesse a posée sur la mienne. Jugez-moi sans faveur, c’est tout ce que je demande.
Le citoyen Lecointre, excellent patriote, et point méchant homme, dit-on, mais sans doute un peu trop facile à échauffer sur les objets qui blessent l’intérêt du peuple, trompé lui-même étrangement, vient de tromper la Convention par une si triste dénonciation, que, dans la partie qui me touche, il n’est pas une seule phrase qui ne soit une fausseté.
Après avoir parlé de certain marché de fusils, qui s’était fait, dit-il, sur le pied de huit francs, avec de certains acheteurs qui, n’ayant point payé leurs traites, furent évincés très-justement, le citoyen Lecointre, sans même vous apprendre si ces huit francs étaient en assignats, argent de France, ou florins de Hollande, la première chose cependant qu’un homme exact eût dû vous dire, arrive brusquement à moi :
« Beaumarchais, vous dit-il, s’empara de ce marché (jamais, Lecointre, jamais je ne m’en suis emparé). Il acheta ces fusils à raison de six livres (jamais) ; fit partir deux vaisseaux du port de la Haye, chargés de ces fusils (jamais). Mais ils furent arrêtés dans le port de Tervère par ordre de Provins et compagnie, premier acheteur (jamais), et qui n’a pas voulu céder son marché à Beaumarchais (jamais). Celui-ci a reconnu son droit (jamais). Et cependant il a feint que ses deux vaisseaux avaient été arrêtés par ordre du gouvernement hollandais (jamais) ; et, en conséquence, a réclamé une indemnité de cinq cent mille francs (jamais, au grand jamais) ; indemnité qu’il a obtenue (jamais, jamais, jamais : pas un mot de vrai à tout cela).
« Lecointre lit ensuite la teneur du marché passé entre Beaumarchais et les ministres Lejard et Chambonas : il conclut à l’annihilation du marché, et au décret d’accusation contre Beaumarchais.
« Après une légère discussion (grand Dieu ! légère ! et il s’agit de la vie d’un bon citoyen ! ), l’annihilation du marché et le décret d’accusation sont prononcés. »
Ô citoyens législateurs ! je viens de copier mot à mot le Moniteur du jeudi 29 novembre (car je n’ai de public, sur ces faits, que ce Moniteur que je cite, et une sottise de Gorsas qui trouvera sa place ailleurs). Je le copie à Londres, où des avis certains de l’infamie qui se tramait m’ont fait accourir de la Haye pour en apprendre les détails, que l’on n’osait m’envoyer en Hollande, où l’on dit que la liberté des personnes dont on veut payer la capture n’est pas si sûre qu’en Angleterre.
Je viens de lire à Londres tout le tissu d’horreurs qu’on m’y a fait passer de France. Mais cet objet est réservé pour le mémoire dont je m’occupe, et qui vous est destiné, législateurs si cruellement abusés par l’un de vous qui l’a été lui-même, et qui regrettera bien, quand il aura lu mes défenses, de s’être fait le crédule instrument de la méchanceté d’une horde que mon devoir est de bien démasquer.
Aujourd’hui je ne dois répondre qu’au paragraphe du Moniteur.
Prenant l’article phrase à phrase, je déclare : 1o que je ne me suis emparé du marché de personne, relativement aux fusils de Hollande ; que je résistais par prudence aux prières qui m’étaient faites de procurer ce bien à mon pays, et que la certitude acquise que ces soixante mille fusils pouvaient bientôt passer dans les mains de nos ennemis, seule éveilla mon inquiétude et mon patriotisme ; que cette inquiétude me fit arrher, sans les acheter, tous ces fusils, en couvrant les nouveaux marchés entamés, soumettant aux plus fortes peines le vendeur, si l’on en écartait un seul pour le service d’aucune puissance avant d’avoir reçu mes dernières paroles ; ce qui arrêta ces marchés jusqu’à ce que j’eusse conféré sur le plus ou moins de besoin que ces armes pouvaient nous faire, avec le ministre de Graves, à qui je rendrai hautement la justice qui lui est due : car depuis la révolution, tout entier à la chose publique, je n’épouse aucune faction.
2o Je déclare que je n’ai point acheté ces armes à raison de six livres le fusil. La seule vue du traité, très-civique, par lequel je suis resté maître de disposer des armes en faveur de la France, vous mon-