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FIN L’OBJET DE VOS TRAVAUX REMPLI, et qu’une flotte française va mettre à la voile ; ce qui convaincra l’Amérique et le monde entier de la sincère amitié de la France, et de l’absolue détermination où elle est de protéger la liberté, l’indépendance de l’Amérique. Je vous félicite de nouveau sur cet événement glorieux, auquel vous ayez contribué PLUS QUE TOUT AUTRE.

« Je suis avec respect, etc.

« Signé Silas Deane. »

Hélas ! ce fut la fin de mes succès. Un ministre du département, à qui je montrai cette lettre, et qui m’avait traité jusqu’alors avec la plus grande bonté, changea de ton, de style tout à coup. J’eus beau lui protester que j’entendais ne rien m’approprier de cette gloire, et la lui laisser tout entière ; le coup était porté, il avait lu l’éloge : je fus perdu dans son esprit.

Ce fut pour lui ôter toute idée sur mon ambition, et conjurer l’orage, que je recommençai à m’amuser des frivoles jeux du théâtre, en gardant un profond silence sur mes grands travaux politiques ; mais cela n’a rien amené.

Il est bien vrai qu’un an après, le congrès général, ayant reçu mes vives plaintes sur le retard de ses acquittements, me fit écrire la lettre suivante par l’honorable M. John Jay, son président, le 15 janvier 1779 :

PAR ORDRE EXPRÈS DU CONGRÈS

SIÉGEANT À PHILADELPHIE

À M. de Beaumarchais.

« Monsieur,

« Le congrès des États-Unis de l’Amérique, reconnaissant DES GRANDS EFFORTS QUE VOUS AVEZ faits en leur faveur, vous présente ses remerciineuts et l’assurance de son estime. « Il gémit des contre-temps que vous avez soufferts pour le soutien de ces états. Des circonstances malheureuses ont empêché l’exécution de ses désirs ; mais il va prendre les mesures les plus promptes pour l’acquittement de la dette qu’il a CONTRACTÉE ENVERS Vul —.

« Les sentiments généreux et les vues étendues qui seuls pouvaient dicter une conduite telle que la vôtre, font bien l’éloge de vos actions et l’ornement de votre caractère. Pendant que, par vos rares talents, vous vous rendiez utile à votre prfnce, vous avez gagné l’estime de cette république naissante, et mérité les applaudissements du nouveau monde, etc.

« Signé John Jay, président.

Si ce n’était pas de l’argent, c’était au moins de la reconnaissance. L’Amérique, plus près alors des grands services que je lui avais rendus, n’en était pas encore à chicaner son créancier, à me fatiguer d’injustices, pour user, s’il se peut, ma vie, et parvenir à ne me point payer.

Il est encore très-vrai que dans la même année le respectable M. de Jefferson, leur ministre en France aujourd’hui, et gouverneur alors de Virginie, frappé des pertes affreuses que la dépréciation de leur papier-monnaie me ferait supporter, si l’on avait l’injustice d’y englober mes créances, écrivit à mon agent général en Amérique, M. de Francy, en ces termes, le 17 décembre 1779 :

« Monsieur,

« Je suis bien mortifié que la malheureuse dépréciation du papier-monnaie, dont personne, je pense, n’avait, la moindre idée lors du contrat passé entre le subrécargue du Fier Rodrigue et cet état, ait enveloppé dans la perte commune M. de Beaumarchais, qui a si bien mérité de nous, et qui a excité notre plus grande vénération par son affection pour les vrais droits de l’homme, son génie et sa réputation littéraire, etc.

« Signé Thomas Jefferson. »

Et j’ai ces lettres originales.

Dans l’ouvrage que je vais mettre au jour, lorsque je montrerai les preuves de l’excellence de tous mes envois à ce peuple, d’après les visites exactes qu’ils en firent faire eux-mêmes avant que mes vaisseaux partissent, bien attestés par leur ministre, et les excuses qu’il m’en fit, , dont j’ai tous les originaux, on sera quelque peu surpris de la patience avec laquelle j’ai supporté les invectives de tous les brigands qui m’attaquent depuis le procès Kornman. Mais j’aurais cru trop avilir le plus grand acte de ma vie, l’honorable part qui j’ai eue à la liberté de l’Amérique, si j’en avais mêlé la discussion à un vil procès d’adultère, dont les mensonges les plus grossiers alimentaient sans cesse la très-déplorable instruction. C’est mon mépris, c’est mon indignation, qui m’ont fait garder le silence. Il est rompu ; je ne me tairai plus sur ce grand objet, la gloire de ma vie entière.

Ils disent que mon avarice sordide a causé les malheurs du peuple américain ! Mon avarice ! à moi, dont la vie n’est qu’un cercle de générosité, de bienfaisance ! et je ne cesserai de le prouver, forcé de dire du bien de moi, puisque leurs farouches libelles ont rendu tant d’hommes injustes.

Pas un seul être alors n’allait d’Europe en Amérique sans m’avoir des obligations pécuniaires, dont presque toutes sont encore dues ; et nul Français n’a souffert dans ce pays-là, que je ne l’aie aidé de ma bourse.

À ce sujet j’invoquerai un témoignage que vous faites gloire de respecter, messieurs, celui du très-vaillant général de vos troupes. Demandez-lui si

[1]

  1. Vaisseau de guerre à moi, très-richement chargé, dont j’avais à crédit la cargaison à la Virginie, qui me la doit encore presque entière, après plus de douze ans passés.