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VIE DE BEAUMARCHAIS.

Il semblait qu’il fallait désormais du bruit partout où il passait, et que ce bruit ne se fit plus qu’à ses dépens. Il en avait conscience. C’est même à cause de ce tapage, qu’il lui devenait impossible d’éviter, qui, à force d’avoir été sollicité par lui, arrivait maintenant sans qu’il le voulût, et chaque fois pour le violenter dans un silence dont il sentait enfin le prix qu’il dut se donner sa dernière devise : un tambour avec ces mots : Silet nisi percussus (il se tait s’il n’est frappé)[1]. Né du scandale, parvenu du bruit, la fin de sa vie se passait à en payer les frais.

L’entreprise dont nous voulons à présent parler était celle de la Compagnie des eaux, créée par les frères Périer, et pour laquelle la première machine à vapeur, « la première pompe à feu, » fut mise en mouvement à Paris : Ici, disait un distique qui courut alors,

Ici vois par un sort nouveau
Le feu devenu porteur d’eau.

Beaumarchais fut des premiers dans l’affaire, « car il se trouve partout, » criaient les Nouvelles à la main[2]. Il y mit un zèle étonnant et presque enthousiaste, ce qui lui fit dire un jour par son ami l’avocat Target, trop au fait de ses entreprises, pour ne pas savoir qu’elles étaient loin d’avoir toutes été aussi sérieuses, ni — soit dit sans jeu de mot — aussi claires : « Je ne suis pas surpris de votre admiration pour cette affaire des eaux ; c’est votre baptême[3]. » Beaumarchais rit de la plaisanterie, mais en se pinçant un peu les lèvres à cause de la vérité. Quand après d’énormes dépenses tout fut prêt, c’est lui qui se chargea du prospectus[4]. Il y fit merveille, et l’entreprise ainsi lancée ne s’arrêta plus. Elle n’alla même que trop loin. Ses actions en montant toujours gênèrent le jeu d’une foule d’autres, notamment certaine affaire d’emprunt négociée pour le ministre Calonne par les banquiers Clavières et Panchaud, qui jurèrent d’enrayer coûte que coûte le succès des Périer, de Beaumarchais et de leurs eaux. Mirabeau, qui par hasard se trouvait en liberté et, ce qui lui était plus ordinaire, sans argent, fut leur homme. De sa plume la mieux taillée parce qu’elle était la mieux payée, il écrivit sous la rubrique de Londres quarante-trois pages de pamphlet sur les actions de la Compagnie des eaux de Paris, qui mirent tout en vive rumeur clie/ les Périer. Mais Beaumarchais était là. C’est vous dire que la riposte ne se fit pas attendre. Aux quarante-trois pages du comte de Mirabeau, il en répondit cinquante-huit autres — on les lira dans les Œuvres — du raisonnement le plus sérieux, le plus net, le plus serré, et qui n’eussent pas permis de réplique si vers la fin, par une dernière pointe, l’homme d’esprit n’eut perdu le raisonneur.

Après n’avoir d’abord, sans se trahir un instant, parlé que pour « la raison sociale, » après n’avoir fait, sur le ton le plus posé, que de la polémique d’intérêt, de la logique de commandite, il ne put résister à l’envie de lâcher à la péroraison certaines personnalités qui devaient infailliblement, de la part surtout du rude jouteur qu’il avait pour adversaire, lui en attirer de terribles, par un choc en retour. Il eut d’ironiques gémissements sur l’emploi qu’un homme éloquent — car, disait-il de M. de Mirabeau, cet écrivain l’est beaucoup — avait fait là de son éloquence ; une impardonnable commisération pour « cette plume énergique, soumise à des intérêts de parti qui ne sont pas même les siens ; » puis, arrivant à la personnalité directe et sans voile, il se mit à équivoquer sur les noms de certaines satires et sur leur origine : « Peut-être, ajouta-t-il, quelque mauvais plaisant coiffera-t-il un jour celle-ci du joli nom de mirabelle, venant du comte de Mirabeau, qui mirabilia fecit. » C’était plus gai que méchant. Beaumarchais dénouait le masque ; Mirabeau, lui, l’arracha. Sa

  1. Jouy est, je crois, le seul qui, dans son Hermite de la Chaussée d’Antin, t. IV, p. 160, ait parlé de cette devise de Beaumarchais.
  2. Mémoires secrets, t. VIII, p. 115.
  3. Id., t. XXVII, p. 69.
  4. Id., t. XVIII, p. 115.