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Monsieur l’abbé Georgel, vous qui avez déposé, devant le lieutenant civil et criminel de Saint-Diey, tous les faits que je viens d’attester, avez-vous reconnu quatre lettres de Guillaume Kornman écrites à vous, sur la transaction amiable que je poursuivais vivement, et que vous m’envoyâtes avec des apostilles de votre main, lesquelles prouvent, ainsi que votre témoignage, avec quelle ardeur je me portais à finir cette transaction ? Sentiment humain, généreux, qu’on me dispute avec tant de bassesse !

Monseigneur le cardinal de Rohan, vous qui n’avez pas hésité, devant le lieutenant du bailliage de Tours, de rendre hommage à la vérité sur ma conduite généreuse dans l’examen que vous m’avez prié de faire de l’entreprise des Quinze-Vingts ; vous êtes-vous souvenu, monseigneur, d’y parler de l’unique salaire que je vous demandai pour mes longs travaux accomplis ? Avez-vous dit que ce salaire était que vous daignassiez rapprocher une très-malheureuse mère de ses enfants qu’elle pleurait, de cet indigne époux qui l’avait si fort maltraitée, et près duquel néanmoins elle consentait à souffrir, à verser des larmes amères, pourvu qu’elle vît ses enfants ?

Maître Gomel, vous qui fûtes longtemps l’ami, le conseil du mari ; vous dont l’esprit conciliateur est le caractère distinctif, et que j’ai fait assigner aussi, vous êtes-vous souvenu de mes démarches auprès de vous, lorsqu’en 1786 vous engagiez M. Le Noir à tâcher d’arranger un procès déshonorant, que les associés de Kornman lui faisaient pour des dilapidations reconnues dans l’affaire des Quinze-Vingts ? Vous êtes-vous rappelé, dis-je, que je vous suppliai de demander à M. Le Noir, pour condition des grâces qu’il faisait faire à ce misérable homme, qu’il rendît justice à sa femme, et se raccommodât avec celle qui renonçait à sa fortune, l’en rendait le maître absolu, pourvu qu’il consentît, hélas ! qu’elle vécût auprès de ses enfants ?

Avez-vous dit que, dans les comités d’administration, MM. Le Noir, Gogeart, et plusieurs autres personnes, ayant reconnu qu’il était trop contraire aux intérêts du roi que S. M. prît pour son compte l’intérêt de Guillaume Kornman dans l’affaire des Quinze-Vingts, seule condition cependant à laquelle cet homme mettait son raccommodement avec la malheureuse mère, vous me demandâtes si je ne pourrais pas déterminer Sainte-James à acquérir cet intérêt au prix d’autres valeurs, lesquelles assureraient et la dot et la paix de la dame Kornman ? Avez-vous dit avec quelle ardeur j’y courus ? comment je fus prier Sainte-James de nous rendre ce bon office ; lequel ne s’y refusa que parce qu’il se croyait déjà trop enfoncé dans cette fâcheuse affaire, ce qui rompit la négociation ?

Et vous, monsieur Le Noir, dont l’honorable témoignage ne saurait rester infirmé par les infâmes calomnies d’un Kornman et d’un Bergasse, avez-vous attesté, dans votre déposition, les prières que je vous fis, à l’époque de Me Gomel, d’employer toute votre influence sur un homme que vous sauviez du déshonneur, pour l’engager à rendre justice à sa femme, à la remettre auprès de ses enfants ?

Oui, vous l’avez tous déposé, car vous êtes des hommes respectables, honorables, recommandables, d’honnêtes gens enfin ; tous convaincus que la délicatesse oblige à souffrir l’importunité d’une déposition juridique, lorsque la justification d’un homme d’honneur outragé, calomnié, dépend du témoignage qu’il attend, qu’il exige de votre véracité.

Toutes vos dépositions sont entre les mains de M. l’avocat général : et cette portion du public qui applaudit encore aux noirceurs qu’on a tant imprimées ne sait pas que l’affaire est déjà décidée dans l’opinion des magistrats ; qu’ils ont mes preuves sous les yeux ; que c’est sur cette foule de pièces que ceux du Châtelet ont lancé les premiers décrets contre deux calomniateurs, dont la rage aujourd’hui se venge d’eux par des outrages. Les a-t-on vus faire autre chose qu’entasser des horreurs nouvelles pour couvrir d’anciennes horreurs, et noyer le fond de l’affaire dans une mer d’injures étrangères aux objets sur lesquels ils sont poursuivis ?

Augustes magistrats, quand vous avez si noblement voté pour la liberté de la presse, vous avez bien sous-entendu que cette liberté ne pouvait être utile qu’autant qu’on punirait sévèrement et son abus et sa licence. Vous l’établirez en principe ; vous le devez à la nation, qui brûle d’en faire une loi ; vous vous le devez à vous-mêmes. Les calomniateurs n’ont épargné personne.

quatrième imputation calomnieuse
de guillaume kornman, dont je dois me justifier
Sa faillite.

J’ai causé, dit-il, sa ruine, forcé la cessation de ses payements et sa fuite (qu’il ne veut pas qu’on nomme banqueroute), en le diffamant en tous lieux.

Ici ma justification est courte, elle est nette, elle est péremptoire.

Les affaires de cet homme étaient fort dérangées ; je m’intéressais à sa femme, qui ne pouvait retrouver sa dot que dans le rétablissement du crédit délabré de son persécuteur. L’examen des Quinze-Vingts m’ayant appris qu’elle avait tout à craindre, aurais-je cherché à ruiner celui dont son sort dépendait ? Voilà ce que le seul bon sens fait concevoir à tout le monde. Mais une accusation directe ne se repousse point par des probabilités.