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puis, mais dans le changement d’occupation : c’est ma vie.

COURT MÉMOIRE

EN ATTENDANT L’AUTRE

PAR

P.-A. CARON DE BEAUMARCHAIS

sur la plainte en diffamation qu’il vient de rendre d’un nouveau libelle qui paraît contre lui.

Je suis vraiment honteux d’être obligé de m’occuper de moi, quand tous les esprits sont tendus vers les intérêts nationaux. Je ne dirai qu’un mot ; il m’est indispensable.

À la suite d’une plainte formée au criminel pour outrage et diffamation contre le sieur Kornman et complices, dans un procès qu’il feint d’intenter à sa malheureuse femme, mais qui n’est qu’un prétexte pour déchirer tous ceux qui ont eu intérêt d’éclairer sa conduite, j’ai obtenu permission d’informer ; et tant à Paris que dans l’éloignement, par des commissions rogatoires, vingt personnes de tout état, assignées, ont déposé ce qu’elles savaient sur les graves objets de ma plainte.

Toutes ces dépositions, les lettres du sieur Kornman en nature, et autres pièces justificatives jointes à la liasse au greffe criminel, M. le procureur du roi du Châtelet a déféré, par délicatesse, au parquet assemblé[1], son droit de conclusions dans cette affaire ; et, sur ces conclusions, il a été prononcé des décrets contre les calomniateurs. Telle a été la sage conduite des magistrats qu’un forcené outrage sans pudeur.

Tout ce qu’un offensé peut faire est de demander justice, de la solliciter, de souffrir et d’attendre ; et c’est ma position actuelle. Mais à l’instant où les tribunaux sont fermés, le bras de la justice enchaîné, où aucun débiteur ne peut être contraint, où toute audace est impunie, il paraît un libelle bien absurde et bien lâche, dans la première page duquel on lit ces propres mots, les seuls qu’en ces moments j’aie intérêt à relever. Je ne débattrai rien sur le fond de l’affaire ; ce que j’en dirais aujourd’hui serait trop oublié lorsque les tribunaux pourront s’en occuper. C’est alors seulement que je publierai mon mémoire ; c’est alors qu’on verra sur quelles pièces victorieuses mes calomniateurs ont été décrétés, sur quoi ils doivent être punis.

Ne perdons pas de vue la phrase du libelle :

« Et maintenant que je suis instruit que le même sieur de Beaumarchais (car on n’apprendra pas ce fait sans un étrange étonnement) est aussi parvenu à se faire trouver digne de la confiance du gouvernement, et que parmi les chefs de l’administration il en est qui n’ont pas rougi de traiter avec lui, et de mettre à profit, pour la circonstance actuelle, le genre de talent dont il est pourvu, etc. »

La lâcheté ne peut aller plus loin.

Sitôt après cette lecture, j’ai rendu plainte au criminel contre le libelle et l’auteur, et j’ai permission d'informer ; ce que l’on fait en cet instant.

Un homme inculpe les ministres, en supposant entre eux et moi un vil traité par lequel je leur aurais vendu ma plume pour insulter leurs adversaires ; les ministres indignés, qui savent mieux que moi combien ces moyens sont peu faits pour la haute question qu’ils agitent, feront punir, sans doute, et comme il le mérite, le menteur, l’insolent qui leur manque ainsi de respect. Mais moi, contre qui l’on n’invente cette infamie que pour me faire des ennemis de tous les corps parlementaires, et me broyer entre les deux partis en me désignant pour auteur de mille sots pamphlets qui courent (et c’est depuis L1 n moi— ce que l’on répand dans Paris i ; moi qui suis averti que Ion ameute contre moi toutes les têtes échauffées qui rôdent, qui bourdonnent à l’entour du Palais fermé ; moi que des lettres anonymes menacent d’un siège eu ma maison ; je saisis cette occasion.1 déclarer publiquement qu’aucune personm qui tienne au ministère n’a invoqué ni mou esprit, ni ma plume, ni aucun des talents dont on me dit pourvu, pour les mettn à profit dans lacirconstam actuelle. Je rend ? le libelliste garant de tout le mal qui peut m’en arriver.

Que si l’un des ministres eût cru devoir me consulter sur les grands objets que l’on traite, j’aurais cru de ma part lui manquer de respect en lui dissimulant mon opinion, quelle qu’elle fût, puisqu’il désirait la savoir. Aucun ne m’a fait cet honneur.

Une seule fois, je l’avoue, mais c’est dans d’autres temps, les ministres du roi m’ont assez estimé pour me demander mon avis sur une question parlementaire, sur la manière dont je croyais qu’on dût rappeler les magistrats : c’était en 1774. Alors la France entière estimait mon courage ; alors tous les esprits tendaient à rapprocher le roi des parlements, l’auguste tête de ses membres ; la forme seule embarrassait : on cherchait à fixer les bornes de la puissance intermédiaire. Vous permettez donc, messeigneurs, leur dis-je, que je m’explique avec franchise ? Je ne puis parler qu’à ce prix. — Faites-nous, me répondit-on, un mémoire court, élémentaire, où vos principes, exposés sans enflure et sans ornements, soient propres à frapper tout bon esprit qui pourrait manquer d’instruction. Je le fis avec zèle : invoqué comme citoyen, j’offris

  1. Composé de M. le Pelletier des Forts, de M. Bourgeois de Boine, de M. Hue de Miromesnil, de M. Dupré de Saint-Maur.