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termes les plus clairs, qui sont toujours les plus simples, voyons sur quoi nous tombons d’accord, en quoi nous différons : montrons lequel de nous deux reste sans preuves devant l’adversaire, et lequel calomnie l’autre en ce parlement.

Commençons par le fameux billet du 5 avril 1770, auquel j’ai dit que vous aviez donné la torture, afin de le rendre un peu louche quand il s’agirait de le débattre au procès.

Nous convenons, vous et moi, que Me  Caillard a fait un violent plaidoyer aux requêtes de l’hôtel contre le mot Beaumarchais emporté par un cachet, et dont il m’attribuait la supercherie ; et voici pourquoi j’affirme que nous en convenons tous les deux : c’est que, malgré la honte publique qui était résultée pour vous, à l’audience des requêtes de l’hôtel, de la déclaration et de la preuve fournie par Me  de Junquière, votre avocat, absolument sans pudeur, espérant que je n’aurais pas le temps de répondre à son mémoire avant que Me  Dufour rapportât notre affaire, eut la maladresse d’insérer dans ce mémoire (page 40) le même reproche sur ce cachet, mais moins violemment exprimé cependant qu’il ne l’avait fait à l’audience ; c’est que je tiens ce mémoire, et que vous ne pouvez le nier, quoique vous ayez fait l’impossible pour ne pas le produire.

C’est que Me  Bidault, prenant la plume à l’instant, vous releva d’importance, quoique le ménagement qu’il croyait devoir à son confrère Caillard l’empêchât, malgré mes prières, de l’inculper comme il le méritait sur le fait de ce cachet apposé. Voici néanmoins ce qu’il vous répondit pour moi, pages 59 et 60 de son mémoire.

Car les avocats qui m’ont depuis refusé leur service, quand j’ai plaidé contre le conseiller Goëzman, dont le grand crédit les effrayait tous, ne me le déniant pas alors, je laissais les gens de loi me défendre à leur mode et de leur plume, et n’avais nulle confiance en la mienne, à laquelle je n’avais pas encore été forcé de me livrer.

Voici la défense de Me  Bidault :

« Mais ce qui révolte encore davantage, c’est l’imputation qu’il a faite au sieur de Beaumarchais sur les dernières lettres du mot Beaumarchais, qui se trouve écrit au dos et au bas d’une page de la lettre du 5 avril 1770, à laquelle le sieur Duverney a répondu entre autres choses : Voilà notre compte signé. Ces dernières lettres du mot Beaumarchais sont aujourd’hui déchirées, et enlevées par un cachet. Le comte de la Blache en conclut que le billet écrit par le sieur Duverney, qui se trouve sur la lettre du 5 avril, n’a point été une réponse à la lettre du sieur de Beaumarchais ; et pour le prouver, voici comme il raisonne : Le mot Beaumarchais était écrit de la main du sieur Duverney. Si la lettre du 5 avril avait précédé le billet, le mot Beaumarchais n’aurait pas pu être écrit sur ce papier de la main du sieur Duverney, lorsque le sieur de Beaumarchais a envoyé la lettre ; et son cachet n’aurait pu déchirer les lettres d’un mot qui n’aurait point encore été écrit : ainsi ces lettres ne peuvent avoir été déchirées que parce que le sieur de Beaumarchais n’a cacheté sa lettre qu’après avoir reçu le billet du sieur Duverney. Ce billet a donc précédé la lettre du sieur de Beaumarchais ; donc cette lettre n’a été écrite qu’après coup. Et ce fait, prouvé pour l’une, doit être présumé le même par rapport aux autres.

« Telle est l’objection que nous n’avons pas craint de rapporter dans toute sa force.

« Voici la réponse. Cette preuve pose uniquement sur ce fait : le mot de Beaumarchais est écrit de la main du sieur Duverney. Mais le fait est faux. C’est Me  de Junquière qui a écrit le mot Beaumarchais, en janvier 1772, pour coter la pièce de son client, ainsi qu’il est d’usage. Me  de Junquière l’a attesté l’audience ; il l’a certifié à M. le rapporteur, en présence duquel il a écrit couramment trois ou quatre fois le mot Beaumarchais, qui a été reconnu de la même main que le mot déchiré. Que devient, après cela, la fable du comte de la Blache ? que deviennent ses soupçons et ses conséquences ? Le sieur de Beaumarchais, moins tranchant que lui, ne se permet d’accuser personne ; on doit lui savoir gré de sa modération. Mais ce qu’il y a de certain, c’est que le mot Beaumarchais, écrit en 1772 par M.  de Junquière, n’a pu être couvert et déchiré par un cachet qui aurait été apposé en 1770 par le sieur de Beaumarchais. On laisse à la cour à décider sur qui doit tomber le reproche de supercherie. »

Nous convenons, vous et moi, que ce reproche était à bout portant. Or qu’avez-vous répondu sur tout cela, monsieur le comte ? Rien, absolument rien. L’objet était pourtant des plus graves ! Direz-vous que le jugement des requêtes de l’hôtel arriva si vite après ma réponse, qu’il n’y eut pas moyen d’y faire alors une réplique ? Volontiers, pour le moment ; et lorsque vous avez raison, c’est avec le plus grand plaisir que je l’avoue. Il n’en est pas ainsi de vous à mon égard, et c’est ce qui nous distingue. Vous n’eûtes donc pas le temps alors : cependant vous eûtes bien celui de me faire, à Versailles et à Paris, le tour abominable que j’ai indiqué dans ma Réponse ingénue (p. 399), et dont le détail se trouve dans mon troisième mémoire Goèzman, depuis la page 283 jusques et y compris la page 287.

Ah ! si j’avais du temps, ou si je trouvais un imprimeur bien actif, quel charme pour moi de réimprimer, à la suite de cette réponse, les treize pages du troisième mémoire Goëzman sur l’attestation de probité des princesses ! Alors on verrait quel front d’acier il faut à mon adversaire pour oser retoucher (page 2 de son mémoire) à cette horrible aventure qui l’a tant déshonoré à Paris, quand