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défense, parce qu’elle vous humilie et vous désole uniquement.

Mais, parce que le roi a dit, dans un arrêt du conseil, qu’il voulait faire sentir les effets d’une juste sévérité à ceux qui abuseraient de leur esprit pour déchirer la réputation des personnes avec qui ils seraient en contestation, croyez-vous, monsieur le comte, que Sa Majesté ait entendu, par cet arrêt, accorder sa protection royale à ceux qui déchireraient leurs adversaires lorsqu’ils le feraient sans esprit ? Vous invoquez là de beaux titres de protection et de faveur ! Et parce que vos défenses sont ennuyeuses et lourdes, vous croyez avoir le droit de les rendre impunément atroces et calomnieuses ? Et quand on vous prouve qu’elles le sont, et qu’à ce double titre on vous livre à la risée, au mépris public, vous vous croyez en droit d’invoquer l’autorité royale, pour venger une telle offense et conserver vos écrits à la glace, en faisant jeter au feu ceux de votre adversaire !

D’ailleurs, quand un tribunal supprime un mémoire, vous conviendrez bien que, si la contestation n’est pas finie, ce tribunal, fût-ce même celui du roi, ne peut entendre par cette suppression que celle des traits trop amers ou des termes trop vifs dont un ressentiment exalté aurait chargé la défense ; et qu’à notre occasion surtout Sa Majesté, en supprimant mon mémoire au conseil, n’a pas entendu priver ma cause des moyens vigoureux dont cet écrit la renforce.

Si c’était là par hasard ce que vous entendez, cette question semblerait exiger une décision plus claire de la part du conseil du roi.

Mais voyez à quoi votre prétention réduirait cet arrêt de suppression. Dans un premier arrêt qui cassa celui du sieur Goëzman, quoiqu’il fût en votre faveur, le conseil du roi supprima les injures respectives de votre mémoire et du mien. Les injures supprimées, que reste-t-il dans un mémoire ? les raisons et les moyens, sans doute ?

Or, lorsque, pour donner plus d’authenticité à la suppression, il plaît à Sa Majesté, dans un second arrêt, de résupprimer ce qu’elle a déjà supprimé dans un premier ; s’il faut convenir que son conseil est bien le maître de supprimer deux fois, dix fois, et sous des formes différentes, les termes amers avec lesquels un plaideur outré par dix ans d’injures exhala son ressentiment, on ne peut, sans insulter la majesté royale, supposer que son conseil ait entendu par un second arrêt supprimer les moyens de ce mémoire, uniquement parce qu’il en a déjà supprimé les injures dans un premier arrêt, et c’est au moins le cas où ce nouvel arrêt peut en appeler un troisième en explication du second.

Mais, en attendant, la cause étant rentrée en instance à deux cents lieues de la capitale, est-ce, à votre avis, manquer de respect au roi, à son conseil, que de mettre sous les yeux des nouveaux juges la totalité des défenses, tout le bon et le mauvais des raisons qu’on a employées pour soutenir son droit ? En cas pareil, comme il n’y a rien de nul, il ne peut y avoir d’injure : car ce qui n’est plus pour moi dans mon écrit tournant nécessairement pour mon adversaire, employer des défenses quoique censurées est agir avec la plus grande impartialité, la plus louable neutralité dans sa propre affaire.

D’ailleurs, je n’ai point fait imprimer de nouveau le mémoire censuré par le conseil : le peu de littérature que mes écrits contiennent, et l’intérêt que le procès Goëzman et consorts inspirait justement à tous les persécutés de la France, ayant fait désirer à beaucoup d’honnêtes gens que quelque libraire en rassemblât la collection, ce procès Goëzman, enfanté par le plus horrible genuit du procès la Blache, rappelant à tout moment les procédés de ce noble adversaire, et l’arrêt du parlement de Paris qui a cassé celui du blâme et débrûlé les mémoires défenseurs de ma cause, leur ayant rendu toute leur pureté, j’ai cru pouvoir et devoir mettre au sac la collection entière de ces mémoires, telle qu’on la trouve chez les libraires, avec des réclames de tous les endroits qui rappellent le comte de la Blache ; presque tout est de ma cause actuelle dans cette collection. Je ne l’ai donc pas fait faire : mais j’en ai profité, comme je l’ai trouvée, sans y rien ajouter ni retrancher, et j’y ai laissé le bon et le mauvais tels que les événements les avaient fournis à mesure ; ne voulant pas plus, en dissimulant le mal, me donner pour meilleur que je ne suis, que je ne veux me rendre pire en laissant ignorer le peu de bien qui s’y rencontre.

Si c’est là, selon vous, manquer de respect au roi, j’avoue que je concevrai une étrange idée de ce que vous entendez par le respect dû au prince : mais comme il n’y a pas encore de loi qui m’ordonne de me soumettre là-dessus à l’opinion du comte de la Blache, de maîtres tels et tels, avocats et procureur à Aix, enfin de ce que j’ai nommé la légion, je prie ladite légion de trouver bon qu’en attendant la décision du parlement sur leur requête en conflagration et lacération au préalable, je me croie au moins aussi bon, fidèle et respectueux serviteur du roi que ces messieurs ; quoique nous n’ayons pas tout à fait les mêmes idées sur la forme de ce respect ; quoique je n’appelle pas comme eux toutes les puissances de l’univers au secours de ma querelle, et que je ne veuille pas émouvoir tout l’Olympe pour la guerre des rats.

J’ai prophétisé dans mon mémoire que vous nieriez tout, et, pour l’honneur de ma prédiction, à l’instant vous avez tout nié.

Ne pouvant tout relever, vu le peu de temps qui nous reste, dans un mémoire de cent soixante-douze pages, prenons rapidement les faits contestés les plus importants, et, réduisant la question aux