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vert imprudemment une partie de ce mot : M. de Beaumarchais, avec sa cire à cacheter ; de sorte que, lorsqu’il a déchiré le papier pour rouvrir ensuite sa lettre, la moitié du mot Beaumarchais est restée ensevelie sous le cachet.

« Or vous jugez bien, messieurs, que si le sieur de Beaumarchais eût réellement écrit, cacheté et envoyé sa lettre à M. Duverney avant que celui-ci y eût fait la prétendue réponse : Voilà notre compte signé, le mot Beaumarchais, écrit en répondant par M. Duverney, au bas du papier, ne se trouverait pas à moitié couvert et emporté par un cachet supposé mis avant que ce mot fût écrit.

Donc le cachet qui couvre l’écriture a été mis après coup par le sieur de Beaumarchais ; donc ce billet a été composé après coup, sur un ancien billet de M. Duverney ; donc celui de M. Duverney n’en est pas la vraie réponse ; et par suite de conclusions, donc ces mots : Voilà notre compte signé, n’appartiennent pas à l’acte du 1er  avril ; donc cet acte est frauduleux ; donc il doit être déclaré nul. Cela est-il prouvé, messieurs ? »

À l’instant il s’élève un murmure général, et l’argument paraît si fort, que tous les juges veulent voir le mot Beaumarchais couvert et emporté par le cachet.

Étonné de ce que j’entends, je supplie à mon tour qu’on me fasse passer le billet, ne pouvant concevoir quel était ce mot couvert par un cachet dont on tirait une si tranchante induction contre moi.

Le billet m’arrive enfin : je regarde le mot Beaumarchais et je reconnais au coup d’œil que ce mot n’est pas de la main de M. Duverney. J’arrête à l’instant l’audience, en suppliant la cour, avant de passer outre, d’ordonner que ce mot Beaumarchais soit bien examiné, parce que je soutiens qu’il n’est pas de l’écriture de M. Duverney, et qu’il y a de la supercherie. Me  de Junquière, mon procureur, s’approche, regarde, et s’écrie :

« Messieurs, que penser de nos adversaires, qui ne veulent pas voir la main de M. Duverney au bas de l’acte où elle est, et qui, par une double ignorance, ou plutôt une double ruse, s’obstinent à la voir ici où elle n’est pas ? Le mot Beaumarchais, messieurs, est de ma main ; c’est moi qui l’ai écrit, il y a quinze jours, pour coter ce billet de mon client par son nom, comme étant une pièce capitale ; et j’en offre la preuve. »

On passe aux opinions, et il est ordonné que, sans déplacer, Me  de Junquière écrira sur le bureau, plusieurs fois couramment, le mot Beaumarchais pour le confronter avec celui du billet. Junquière écrit ; le billet repasse à la confrontation, et tout le monde alors convient que le mot est bien de Junquière, et non de M. Duverney ; et que Caillard en impose, ou ne sait ce qu’il dit…

— Oh ! que pardonnez-moi, messieurs, il le sait bien ! et il le sait si bien, que je prends à mon tour son argument, et je dis :

Puisque le mot Beaumarchais, qui n’est pas de M. Duverney, mais écrit depuis quinze jours par Me  de Junquière, est néanmoins couvert par un cachet, et déchiré, j’en conclus bien plus justement que Caillard, que mes pièces ayant été confiées amicalement depuis peu aux adversaires, qui les ont gardées cinq jours, ils ont aperçu ces mots, M. de Beaumarchais, au bas du papier ; et que, les croyant ou feignant de les croire de M. Duverney, ils ont eu la mauvaise foi de couvrir mon nom de cire, et d’en enlever la moitié, pour tourner, en plaidant, leur supercherie contre moi. Et ce billet, messieurs, qui leur fait si grande peine à cause de ces mots de M. Duverney, voilà notre compte signé, remarquez qu’ils lui ont fait subir toutes sortes d’indignes épreuves, et même celle du feu, dont il porte encore l’empreinte et la roussissure, ainsi que d’autres marques d’encre, plus déshonorantes encore, etc…

Alors, au lieu de juger l’affaire à l’audience, on ordonna un délibéré qui me sauva.

M. Dufour, étant nommé rapporteur de l’affaire, fit venir de nouveau chez lui Me  de Junquière, le fit écrire, en sa présence et couramment, mon nom plusieurs fois, confronta les écritures, et se convainquit de nouveau de l’équité de mes plaintes et de la duplicité de mon adversaire.

Comme cette anecdote est aussi bonne au parlement d’Aix qu’elle le fut aux requêtes de l’hôtel, je préviens nos juges que le papier portant plusieurs fois mon nom de la main de Me  de Junquière est joint à la lettre en question dans les pièces du procès ; et j’avertis que cette gaillarde espiéglerie a été publiée alors dans deux mémoires de moi, l’un signé Bidault et l’autre Falconnet, qui sont aussi joints aux pièces de ce procès. Et voilà, messieurs, ce que j’appelle encore, du nom le plus doux qu’il m’est possible, les Ruses du comte de la Blache.

Il était bien juste, après cela, qu’il perdît son procès avec dépens : c’est aussi ce qui arriva. Vous jugez s’il devint furieux, s’il jurait, piétinait, injuriait, courait et bondissait comme un lièvre qui a du plomb dans la cervelle ! On le voit d’ici. Or, comme nous étions dans un temps de subversion où l’homme accrédité se croyait peu dépendant des tribunaux qui le jugeaient, et que le comte de la Blache avait la modestie de se classer dans ce rang supérieur, sa colère et sa vanité, confondant tout, lui firent faire une scène chez un des maîtres des requêtes après le jugement : il alla lui demander fièrement compte de son avis, et poussa l’assurance au point de dire au magistrat : Il est bien étrange, monsieur, que vous ayez appuyé, peut-être formé l’opinion devenue contraire à mes intérêts, aux requêtes de l’hôtel ; ma chaise est à votre porte, et