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régler, quoique depuis quatre ou cinq ans il n’y eût plus, selon le seigneur ON, aucun commerce entre eux ?

On sent bien que ce seigneur, embarrassé de son ignorance vraie ou fausse, est obligé de rester la bouche ouverte, et ne sait que répondre à tout cela. Moi qui ne cache rien, qui dis tout, je l’explique, en prouvant deux commerces entre M. Duverney et moi, dont le mystérieux est toujours la clef de l’ostensible, ainsi qu’on le voit clairement en rapprochant mes deux lettres du 8 et du 11 octobre, l’une secrète et l’autre publique, lesquelles démontrent que le seul débat qu’il y eût entre nous venait de ma répugnance pour les conférences mystérieuses et de la sienne pour les visites connues de son héritier.

Ainsi donc, malheureux vieillard ! pauvre Beaumarchais ! il y avait entre vous deux, et dans l’intérieur de la maison, des intrigants alertes et dangereux, à qui rien n’était sacré pour détruire vos liaisons ! Et, quoique mystérieuses, elles étaient donc encore dépistées par les espions, qui, feignant de n’en rien savoir, n’en écrivaient pas moins des lettres anonymes pour essayer de brouiller les deux amis ?

Étonnez-vous, après de telles horreurs, que le vieillard, déchiré par les assauts de tant d’intérêts divers qui se croisaient en lui, ne voulût pas employer de notaire à la confection de notre acte ? Étonnez-vous qu’on trouve dans l’un de mes billets du 14 février 1770, rapporté par eux-mêmes (page 49), ces paroles remarquables :

« Puisque mon bon ami craint d’employer son notaire, à cause de ses malheureux entours, je vais commander l’acte au mien, s’il l’approuve ; il sera fait demain au soir, et on lui portera tout de suite à signer. »

Étonnez-vous que la réponse à ce billet, de sa main, sur le même papier, soit : Il faut se voir avant de rien ordonner, le temps est trop court !

Nous nous vîmes en effet ; mais il n’accepta pas plus mon notaire que le sien. On croira, disait-il, que je fais un autre testament, et que c’est vous qui me le suggérez. Je ne le puis. Et l’acte chemina sous seings privés, comme il le désirait, et tel qu’il subsiste aujourd’hui.

Triste destinée des vieillards livrés à leurs collatéraux ! terrible, mais juste punition de celui qui, trompant le vœu de la nature et de la société, s’éloigna du mariage et vieillit dans le célibat ! Son âme s’attriste et se consterne à mesure qu’il sent l’asservissement augmenter, l’esclavage s’appesantir. En vain il voit son avide héritier éloigner ses amis, gagner ses valets, ses gens d’affaires, et tout corrompre autour de lui ! Que lui servirait de s’en plaindre, et de l’en punir par l’adoption d’un autre ? Il ne ferait que changer de tyran ! Il aperçoit dans tous l’impatience de sa destruction. Lui-même, hélas ! l’infortuné, n’a plus la faculté d’aimer aucun de ceux qu’il se voit forcé d’enrichir ! Enfin, dégoûté de tout, il gémit, se tourmente, et meurt désespéré !

Amants du plaisir, amis de la liberté, imprudents célibataires, que ces deux noms, la Blache et Duverney, vous restent dans l’esprit et vous servent de leçon ! C’est le plus terrible exemple à citer d’un pareil asservissement ! Mais voulez-vous échapper à ces horreurs ? devenez pères. Voulez-vous goûter encore dans la vieillesse l’inestimable bien d’aimer ? devenez pères : il le faut ; la nature en fait une douce loi, dont l’expérience atteste la bonté. Pendant que tous les autres liens tendent à se relâcher, celui de la paternité seul se resserre et se renforce en vieillissant. Devenez pères : il le faut. Cette vérité chère et sublime, on ne peut trop la répéter aux hommes ! Et le douloureux souvenir de mon respectable ami m’en rend le sentiment si vif en ce moment, que je n’ai pu me refuser de le verser sur mon papier.

Cependant tout ce que je viens de dire est la réponse à cette question des soussignés et du légataire (page 59) : « Par quelle raison M. Duverney aurait-il craint son notaire ? » dont je leur ai promis l’éclaircissement, page 383 de ce mémoire.

À mesure qu’on avance, le tableau se nettoie. On voit que tout s’enchaîne : on y voit comment l’acte du 1er  avril, les lettres à l’appui, celles qui n’y ont pas de rapport, leur mystère, celui de nos conduites, l’esclavage du testateur et les intrigues de l’héritier ont une telle connexion, se prêtent une telle force, qu’elles ne sauraient plus être ébranlées par cette foule de noirceurs que je nomme, avec le plus de modération que je puis, les ruses du comte de la Blache.

Elles s’étendaient à tout, ces ruses ! Dans ce même temps le légataire, ayant ou croyant avoir à redouter quelque chose du sieur Dupont, exécuteur testamentaire désigné dans le testament de son oncle, avait si bien fait son thème et tramé son intrigue, que la porte de M. Duverney lui fut enfin fermée, et qu’on voulut forcer ce vieillard à nommer un autre exécuteur.

Cet oncle gémissait en secret avec moi de ces persécutions, qu’il n’avait plus la force de repousser !

Et toutes ces choses sont encore constatées dans mes lettres des 25 et 26 octobre 1770 à l’exécuteur testamentaire, longtemps avant qu’il y eût un procès entre moi et l’héritier Duverney.

Dans ma lettre du 25 octobre, je mandais à cet exécuteur :

« Je ne me suis pas d’abord adressé à vous, monsieur, parce que la cruelle maladie qui m’a tenu au lit tout l’été ne m’a pas permis de recevoir aucuns détails sur les derniers moments de M. Duverney, et que j’avais de fortes raisons de penser que, s’il avait un testament nouveau