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au contraire je la rends plus claire, en la débarrassant de cet entortillage de style qui fait de tout ce mémoire un ambigu si lourd et si difficile à comprendre.

Mais prenez garde, avocat ! vous vous fourvoyez. Il ne fallait pas accorder au fripon pour qui vous me donnez, que malheureusement il n’a pas été consulter l’almanach de l’année 1770. Par cet aveu maladroit, vous lui passez gain de cause entier ! Voyez vous-même.

Ces termes de mon billet : Je ne le puis ni demain ni vendredi, prouvent clairement que je l’aurais écrit comme envoyé le mercredi. Si je l’avais composé après coup, et sans l’almanach de l’année, à l’aspect de ces mots, samedi 11, d’un billet dont je voulais abuser, j’aurais dit, en comptant par mes doigts et rétrogradant à mesure, samedi 11, vendredi 10, jeudi 9, et j’aurais daté mon faux billet du mercredi 8 mai. Mon erreur alors appuyant celle du billet Duverney, j’étais pris comme un sot : car deux hommes en s’écrivant ne font pas, chacun de leur côté, l’erreur de reculer d’un jour la vraie date de leur lettre : une pareille fortuité devient trop improbable.

Mais il n’en va pas ainsi, mon cher ! j’ai daté du 9 mai. Le corps de mon billet prouve qu’il fut écrit le mercredi ; et l’almanach de 1770, que malheureusement je n’ai pas consulté, nous montre que ce mercredi était le 9 mai. Donc, pour me supposer faussaire, vous deviez, ô avocat ! renonçant à votre majeure, établir au contraire que j’avais l’almanach sous les yeux en appliquant le billet après coup. Donc vous ne savez ce que vous voulez en assurant que je ne l’avais pas ; donc vous n’avez encore rien prouvé. Voilà pour une ; essayons l’inverse à présent.

J’avais donc l’almanach sous les yeux en composant mon infamie ! Mais si je l’ai consulté pour dater aussi juste du mercredi 9, comment n’aurais-je pas vu d’un coup d’œil que si mercredi était le 9 mai, le samedi suivant ne pouvait être le 11, puisqu’il y a trois jours pleins entre eux : qu’ainsi je ne devais pas, en datant mercredi 9, user d’un billet indiquant samedi 11 pour essayer d’enlever au pauvre comte de la Blache quinze mille francs sur son pauvre legs de quinze cent mille livres ?

S’il est probable que M. Duverney, donnant rapidement un rendez-vous demandé, ait pu se tromper en désignant samedi 11, au lieu de samedi 12 (car sa légère erreur est de désignation future), il n’est nullement probable que M. de Beaumarchais, enfermé dans son cabinet, et consultant à froid un almanach de l’année pour dater son faux billet si juste du mercredi 9, ait eu la gillerie, la sottise, d’appliquer sa date à côté de samedi 11, qui lui crevait les yeux.

Et ne voilà-t-il pas que, pour me dénoncer faussaire, il vous faut aussi renoncer à la seconde hypothèse, que j’avais l’almanach sous les yeux, quand je connus si bien que ce mercredi était le 9, ou que ce 9 était un mercredi ? Donc, pour me faire une aussi sotte insulte, il faut commencer par dévorer l’étrange et double absurdité de ne pouvoir poser en principe, ni que j’avais l’almanach sous les yeux, ni que je ne l’avais pas : ce qui fait crouler tout votre édifice, et ramène à la seule idée possible, naturelle et vraie, que l’aspect des choses présente. M. de Beaumarchais écrit, le mercredi 9 mai 1770, à M. Duverney : « À quand la bonne fortune ?… Je ne le puis ni demain ni vendredi ; tous les autres jours sont à mon bon ami ; » et M. Duverney, voyant que M. de Beaumarchais ne peut venir ni demain jeudi ni vendredi, lui assigne un rendez-vous légèrement pour samedi ou dimanche ; et au lieu de mettre samedi 12, il se trompe, et met samedi 11, à huit heures du soir, ou dimanche à la même heure.

Cela est-il clair ? et lorsque vous m’avez dit, flatteur que vous êtes (page 11), que j’étais un jeune homme de beaucoup d’esprit, ne me faisiez-vous donc ce compliment que pour tomber ensuite dans la contradiction risible de m’accuser partout de n’avoir fait que des bêtises ? Voilà pourtant de quelle force vous argumentez dans toute la plénitude de vos cinquante-huit pages, funeste raisonneur ! À la vérité, cela devrait ne me rien faire ; mais vous me forcez à devenir aussi ennuyeux que vous, pour réfuter clairement vos affreuses inepties : voilà ce que je ne puis vous pardonner.

— Hé bien ! monsieur de Beaumarchais, quand vous devriez vous irriter davantage, nous ne pouvons nous empêcher d’observer encore, sur votre analogie, que tous les billets répondus par M. Duverney, et qui se rapportent à l’acte du 1er  avril, sont plus secs, plus décharnés, plus dénués de bonté, de familiarité, que ceux qui lui sont étrangers. Comment cela se fait-il ? Étiez-vous brouillés ? peu d’accord entre vous ? quoi donc ?

— Ha ! ha ! messieurs, c’est que je ne les ai pas tous produits, ces billets : quoique, en honneur, le comte de la Blache les eût tous vus avant le procès ; mais indépendamment de ceux que je n’ai plus, parce qu’il y en eut beaucoup de brûlés ou déchirés avant l’explication et la clef que je viens de donner, j’aurais craint que le ton badin et mystérieux qui règne en quelques-uns de ceux qui me restent, interprété malignement par vous, ne nuisît à la mémoire du plus respectable des hommes. Mais rien ne devant me retenir, après avoir tout éclairci, je ne crains plus de vous montrer… celui-ci, par exemple, qui, daté du 15 juin 1770, est postérieur à la signature de l’acte du 1er  avril, et qui, malgré son badinage, s’y relate en toutes ses parties. Puisque j’ai la demande et la réponse, on sent assez que c’est moi qui écrivis le premier.