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et ne l’étant jamais, mais ma reconnaissance l’emportant sur mes chagrins, j’étais serein, j’étais gai, tranquille, et, s’il faut l’avouer, bien plus heureux de tant devoir qu’infortuné de ne rien avoir.

Telle a toujours été ma vie. Souvent désolé, mais toujours consolé, je me suis moins affecté de mes pertes qu’occupé de leurs dédommagements. Aujourd’hui même que je crois avoir éprouvé plus de malheurs qu’il n’en faut pour lasser la patience de douze infortunés, je suis d’un sang-froid qui va jusqu’à donner de l’humeur à mes ennemis. Ils ne me trouvent pas assez à plaindre, parce qu’il me reste encore du courage ; ils voudraient me voir les yeux caves, le visage abattu, l’air bien morne et bien désolé.

Depuis quatre ans, à la vérité, je me suis vu malaisé, maltraité, mal attaqué, mal dénigré, mal jugé, mal dénoncé, mal blâmé, mal assassiné ; j’ai perdu ma fortune et ma santé ; tous mes biens sont encore saisis, et je plaide pour les ravoir, ce qui achève le tableau.

Mais enfin, comme il est bien prouvé que tout ce qu'on m’a fait, on me l’a fait tout de travers, cela est-il donc sans ressource ? Mes ennemis, pour m’avoir déchiré, m’ont-ils accablé ? Le funeste arrêt qui a tenté de me flétrir y est-il donc parvenu ? Les brigands qui m’ont poignardé cet automne empêchent-ils que je ne sois au monde ? Le comte Falcoz a-t-il bien gagné son indigne procès ? Sera-ce un lourd mémoire, une plate épigramme ou une mauvaise chanson qui me mettront au désespoir ? N'ai-je aucune espérance de rentrer dans mes possessions ? Ne vit-on pas longtemps avec une mauvaise santé ? Ne suis-je pas occupé à me pourvoir contre cet arrêt du blâme ? Enfin la tourbe de mes ennemis est-elle donc si triomphante ? Eh ! messieurs, au lieu de vous dépiter de ce que je ne suis pas plus malheureux, rougissez, en comparant votre sort au mien, de n’être pas plus heureux vous-mêmes !

À mon égard, depuis longtemps je sais bien que

1 1 re ’■ est combattre ; et je m’en désolerais peul être, 

.-i je ne -entais en revanche que combattre ivre.

Ce petit repos vous a-l-il délassé, lecteur ? Pour moi, je me sens mieux. Remettons-nous en marche. I.e chemin est pénible, escarpé ; mais l’honneur est au bout. Il a longtemps que ceci n’esl plu- pour moi un procès ’I ai

ARTICLE Xl.

c Plus, je m engage a lui faire tenir un de m « grands portraits du meilleur maître, pour le don du [uel il me sollicite depuis longtemps. «  Mans ma première partie j’ai dit, monsieur le comte, que vous aviez été Ibrl étonné qu’un pareil engagement lui entré dans un arrêté ; mais nous avons coulé cel article à fond : la redite en serait inutile.

Rappelez-vous seulement que c’est la premièri chose que je vous ai demandée dan- ne - lettr< Je ne serai pas généreux sur cel arl icle, je vous en avertis, Ce portrait si longtemps promis esl celui d’un homme à qui je dois bien plus que de l’argent : je lui dois le bien i ne ? li niable de savoir m’en passer et d’être heureux. Il m’apprit à regarder I ar- "■i nt i ninme un moyen, et jamais comme un but. C’était un grand mol qu’il disait là.

n’est plus, cet ami généreux, cet homme 

d’Etat, ce philosophe aimable, ce père de la noblesse indigente, le bienfaiteur du comte de la Blache et mon maître ! Mais j’avoue que le plaisir d’avoir reconquis son portrait, mesuré -ni- le chagrin de -a longue privation, sera l’un des plus vifs que je puisse éprouver. Telle est l’inscription que je veux mettre au bas :

Portrait di M. Duverney promis longtemps par « lui-même, exigé par écrit de son vivant, disputé ci par son légataire après sa mort ; obtenu parsentence ’I' 1 - requêtes de l’hôtel ; rayé de me- possessions par jugement d’un autre tribunal ; « rendu à mon espoir par arrêt du conseil du roi ; i. définitivement adjugé par arrêt du parlement ■ de... , à son tli i iph Beaumarchais, etc. -C’est ainsi que, depuis la satisfaction des besoins les plus matériels jusqu’aux plus délicates voluptés d’une aine sensible, toul me parait fondé sur le sublime et consolant principe de la compensation des maux par les biens.

Ce portrait de M. Duverney renouvelle en moi le souvenir vif el pressanl de ce grand citoyen ; et le cabinet d’un particulier me parait un lieu trop obscur pour qu’il 5 soit placé dignement. Il a trop mérité delà patrie en fondantune éducation convenable à tous les fils de nos défenseurs, il a trop mérité de son siècle en le rendant rival île celui qui assura la retraite à ces mêmes défenseurs, pour qu’on ne lui assigne pas une place très-honorable.

Il manque à l’École militaire un mausolée de ce grand homme. On l’avait forcé de laisser prendre en marbre un buste de lui pour ce digne emploi. Le comte de la Blache, à sa mort, a refusé ce buste à l’École militaire.

lui. se-t il arrach : 1 1 ivance stre place par mes main-, avec cette inscription : Éli < é par la reconnaissance à l’ami de la patrie ! el c’est à quoi seront employés tous les doi âges el intérêts auxquels nue poursuite injurieuse me donne un droil incontestable. J’en indique exprès l’usage, afin qu’en ne les épargne pas. Hori cet emploi de prédilection, ils appartenaient aux pauvres. Mais la charité n’esl qu’une vertu ; la re taissance est un devoir ; elle aura la préférence. VIVTICLE xv.

Toujours M. Duvernej .

de son amitié qu’il brûle toute notre