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Tout est de même un vrai galimatias. Il faut convenir que l’art de raisonner faux est poussé bien loin dans ce mémoire ; c’est la méthode unique de l’auteur à qui je réponds.

En traitant fort inutilement le fond de l’affaire, qui est de décider si un acte est bon ou mauvais, il commence par poser que l’acte ne vaut rien ; et comme si ce point en débat lui avait été accordé, il en discute tous les articles sur ce principe. L’acte est illusoire ; donc cette quittance n’a pas été fournie ; l’acte est illusoire ; donc tel contrat qui y est relaté n’a jamais existé ; l’acte est illusoire ; donc telle société qui y est résiliée n’a jamais eu lieu entre les parties.

À force de répéter, l’acte est illusoire, l’acte ne vaut rien, et de toujours raisonner sur ce fond vicieux, le faux du raisonnement finit par échapper au lecteur ennuyé. Dans son étourdissement, il oublie que, si l’acte était reconnu bien illusoire, on ne se donnerait plus la peine de tant raisonner dessus ; et que la seule nécessité de le discuter encore prouve de reste que la fausseté de l’acte n’est rien moins que certaine.

Et remarquez que cette méthode de raisonner toujours méthodiquement faux est tellement celle du comte de La Blache et de son défenseur, que, dans la partie même qui est la plus familière à ce dernier, je veux dire la discussion des moyens de cassation de l’arrêt, il ne peut s’empêcher d’y revenir sans cesse, et partout de tromper le lecteur à son escient, au grand mépris de sa vergogne intérieure.

À la vérité, dit-il, les ordonnances de nos rois adoptent, indiquent, admettent tels ou tels moyens de cassation (qui sont les miens) ; mais ce n’est jamais que relativement à des actes véritables, et non à des actes illusoires comme celui du 1er avril 1770. De sorte que, si l’acte n’est pas illusoire, le raisonnement de l’avocat ne vaut rien ; et comme nous ne plaidons que pour décider si l’acte est nul ou exigible, il suit que l’avocat a pris partout, pour base de ses raisonnements, l’unique objet qu’il entend emporter par la bonté de ces mêmes raisonnements. Quelle pitié !

Dans son dernier précis, qu’on peut regarder comme la quintessence de ses œuvres, après avoir invoqué contre moi la sagesse des nations, après avoir réduit la cause entière à deux proverbes, et nous avoir appris qu’erreur n’est pas compte ; qu’à tout compte on peut revenir ; arguments d’éternelle vérité, auxquels on sent bien pourtant qu’on pourrait opposer ceux-ci, qui sont de la même force : Qui prouve trop ne prouve rien ; qui compte sans son hôte, etc., etc., l’avocat raisonne ainsi : « DANs LE FAIT, l’arrêt a jugé que tous les articles du compte ne sont que de faux emplois : il a « donc fallu déclarer le compte nul… Dira-t-on que « mal à propos on a regardé comme faux les articles du compte ?… en ce cas ce serait un mal jugé : « un mal jugé n’est point un moyen de cassation. » Donc il faut que l’acte reste annulé. En lisant ce mémoire, on y sent partout je ne sais quoi de faux, qui fatigue la tête et vous tinte à l’esprit ; mais il est renforcé de temps en temps d’arguments si dissonants, si rêches, qu’ils en agacent les dents et vous crispent les nerfs : tel est surtout l’effet de ce dernier. Et c’est ce qu’une comparaison prouvera mieux que tous les raisonnements.

Si le choix de l’exemple est singulier, si le fait est impossible, et si la chute en est bien absurde, il n’en ira que mieux au but par la justesse du rapprochement. Et quand un raisonnement est aussi chargé de ridicules, on court peu de risques à l’en couvrir tout-à-fait en le développant.

Un paysan se présente en cassation d’un arrêt du conseil supérieur de sa province, qui, sans autre explication, le condamne à être fauché… Fauché ! Les ordonnances du roi, dit son avocat, enjoignent bien de faucher les prés ; mais un arrêt qui ordonne de faucher un homme doit être certainement réformé.

Qu’oppose à ceci l’avocat faucheur, germain tout’

au moins de l’avocat annuleur à qui je réponds ? Écoutons-les plaider concurremment. « DANs LE FAIT, a dit l’ann…, l’arrêt a jugé que tous les articles du compte ne sont que de faux emplois ; il a donc fallu déclarer le compte nul. » « DANs LE FAIT, dit le fauch…, l’arrêt a jugé « que toute la barbe de Lucas est comme autant de « brins d’herbe sur la face d’un pré : il a donc « fallu déclarer le visage de Lucas fauchable… » « L’ANN… Dira-t-on que mal à propos on a re « gardé comme faux les articles du compte ? en ce cas, ce serait un mal jugé : un mal jugé n’est point un moyen de cassation : donc il faut que i’acte reste annulé. » « LE FAUCH… Dira-t-on que mal à propos on a regardé comme un pré la face de Lucas ? En ce cas, ce serait un mal jugé : un mal jugé n’est point un moyen de cassation : donc il faut que Lucas soit fauché. » Et moi je dis une fois pour toutes à l’avocat anmuleur : Donc on raisonnerait pendant deux ans, dès qu’on part d’un faux principe, on arrive toujours à une absurdité. Sur le fond du procès, il a dit : L’acte est faux, donc telle chose, etc. Sur la forme de l’arrêt il vous dit : L’arrét a jugé que l’acte est nul, parce qu’il est plein de faux emplois ; donc l’arrêt doit subsister ; tandis que la seule chose à dire était : « L’arrêt est conforme ou contraire à la loi ; donc la nullité de l’acte a été bien ou mal prononcée. » Car l’obéissance implicite et servile n’est due qu’à la loi seule : non en ce qu’elle est juste, mais