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cercle le plus vicieux, cumulait à la fois les lettres de rescision, la voie de nullité et le débat des différents articles du compte.

Sur le second article, il disait : La remise de cent soixante mille francs de billets, exprimée dans l’arrêté, n’est qu’une illusion. Il jugeait donc faux l’acte par lequel M. Duverney reconnaissait les avoir reçus de moi.

Sur le quatrième article, il disait : Il y a ici un double emploi de vingt mille francs ; cette somme n’est pas entrée dans l’actif de M. Duverney, porté à cent trente-neuf mille livres. Il reconnaissait donc véritable l’acte où il relevait une erreur prétendue : car il n’y a pas de double emploi où il n’y a pas d’acte.

Sur le cinquième article, il disait, sans aucune autre preuve que son allégation : Le contrat de rente viagère au capital de soixante mille francs n’a jamais existé. Il regardait donc comme faux l’acte qui en portait le remboursement.

Il prétendait ensuite prouver son assertion sur la nullité de cette rente, par les termes de l’acte même : n’était-ce pas avouer de nouveau que l’acte était véritable ?

Sur le sixième article du compte, il disait : Il n’y a jamais eu de société entre M. Duverney et le sieur de Beaumarchais pour les bois de Touraine. Il revenait donc à soutenir que l’acte qui la résiliait était faux.

Sur le neuvième article, contenant une indemnité, il disait : C’est en trompant M. Duverney qu’on se fait adjuger l’indemnité sur une affaire qu’on lui présentait comme onéreuse, quand il est prouvé qu’elle est très-bonne. Il regardait donc derechef l’acte comme véritable : car, pour abuser de l’esprit d’un acte, il faut que le fond en existe entre les parties.

Plus loin il disait : Payez-moi pour cinquante-six mille francs de contrats, car vous les devez à M. Duverney. L’acte qui les passe en compte était donc faux, selon lui.

Plus loin encore, il disait : Je ne vous prêterai point soixante-quinze mille livres : car, selon l’acte même, j’ai le droit de rentrer en société. L’acte dont il excipait alors était donc redevenu véritable.

C’est ainsi que, pirouettant sur une absurdité, il trouvait l’acte faux ou véritable, selon qu’il convenait à ses intérêts.

N’alla-t-il pas jusqu’à dire et faire imprimer : Si je préfère de discuter l’acte comme véritable, à l’attaquer comme faux, c’est parce que j’y trouve plus mon profit ? Il est honnête, le comte de la Blache !

Enfin, sans qu’on ait jamais pu savoir au vrai ce que mon adversaire voulait ou ne voulait pas sur cet acte, on a tranché la question, d’après l’avis du sieur Goëzman, en annulant l’arrêté de compte, sans qu’il fût besoin de lettres de rescision.

Était-ce décider que l’acte est faux ? C’eût été juger ce qui n’était pas en question ; on ne s’était pas inscrit en faux. Donc il faudrait réformer l’arrêt.

Était-ce juger que l’acte est véritable, mais qu’il y a erreur ou dol, double emploi ou faux emploi ? Mais dans ce cas on ne pouvait l’annuler sans qu’il fût besoin de lettres de rescision. Donc, de quelque côté qu’on l’envisage, l’arrêt ne peut se soutenir, et doit être réformé.

Je n’ai traité, dans ce court exposé, que la partie de mon affaire qui a rapport à la cassation que je sollicite. J’ai laissé de côté mon droit incontestable, parce qu’il ne s’agit pas aujourd’hui de savoir si j’ai tort ou raison sur le fond de mes demandes, mais seulement si le Palais a jugé, contre ou selon les lois, l’entérinement des lettres de rescision, la seule question qui lui fût soumise.

Tel était à peu près ce précis.

D’après tout ce qu’on vient de lire, on sent bien qu’il n’y a qu’un raisonnement qui serve : ou M. Duverney a signé quelque chose, ou il n’a rien signé. S’il a signé quelque chose, ce ne peut être qu’un arrêté de compte exact ou erroné, contenant une transaction fondée ou chimérique. Mais cet acte, signé de lui (signé de lui, monsieur le comte ! quel mot à l’oreille de celui qui doit un legs de quinze cent mille francs à la seule signature de M. Duverney !) : cet acte donc, signé de lui, eût-il autant d’erreurs et de faux emplois qu’il vous plaît de lui en supposer, s’il contient un seul article exempt de conteste entre nous, l’arrêt qui annule entièrement l’arrêté qui renferme cet article, étant au moins vicieux en ce point, doit être certainement réformé.

Or vous ne m’avez jamais contesté (avant l’arrêt) que je dusse à M. Duverney, à l’instant où nous avons compté, cent trente-neuf mille livres, portées à l’article iii ; au contraire, vous vous êtes sans cesse récrié sur le projet que j’avais formé de m’emparer de toute sa fortune : « La fortune de M. Duverney, avez-vous imprimé, était un butin que le sieur de Beaumarchais croyait lui appartenir. » D’où il suit, selon vous-même, que s’il y a quelque chose à dire contre l’énoncé de cent trente-neuf mille livres, c’est qu’il contient beaucoup moins d’argent que je n’en devais réellement. Mais enfin, puisque M. Duverney s’en est contenté, voyons ce qu’il en résulte contre l’arrêt. Ces cent trente-neuf mille livres se composent, dans l’acte, de cinquante-six mille francs qu’il m’a prêtés pour ma charge de secrétaire du roi, de l’intérêt de cet argent, et de divers billets et reçus qu’il s’engage de me rendre comme acquittés, et qu’il ne m’a point rendus.

Cependant vous dites aujourd’hui n’avoir trouvé que pour cinquante-six mille trois cents livres de titres contre moi sous le scellé de M. Duverney : je ne sais ce qui en est ; mais que m’importe, à moi ?