Page:Beaumarchais - Œuvres complètes, Laplace, 1876.djvu/408

Cette page n’a pas encore été corrigée

j’avais écrit au greffe, pour juger juger si, dans une position si nouvelle, j’avais conservé le sang-froid nécessaire à un résumé aussi sérieux. Une des choses que j’ai le plus constamment étudiées est de maîtriser mon âme dans les occasions fortes : le courage de se rompre ainsi m’a toujours paru l’un des plus nobles efforts dont un homme de sens pût se glorifier à ses yeux.

Mais qu’il y a loin encore d’attendre un événement, à se voir forcé d’en soutenir le spectacle, ou d’y figurer soi-même ! En approchant du lieu de la séance, un grand bruit de voix confuses me frappait sans m’émouvoir ; mais j’avoue qu’en y entrant, un mot latin prononcé plusieurs fois à haute voix par le greffier qui me devançait, et le profond silence qui suivit ce mot, m’en imposa excessivement : Adest, adest : il est présent, voici l’accusé, renfermez vos sentiments sur son compte. Adest ! ce mot me sonnera longtemps à l’oreille. À l’instant je fus conduit à la barre de la cour.

À l’aspect d’une salle qui ressemble à un temple, au peu de lumières qui la rendaient auguste et sombre, à la majesté d’une assemblée de soixante magistrats uniformément vêtus, et tous les yeux fixés sur moi, je fus saisi du plus profond respect, et (faut-il avouer une faiblesse ?) la seule bougie qui fût sur une table où s’appuyait M. Doé de Combault, rapporteur, éclairant le visage d’un conseiller au parlement accoté sur la même table, de M. Gin, en un mot, je le crus, par la place où je le voyais, chargé spécialement de m’interroger, et je me sentis le cœur subitement resserré, comme si une goutte de sang figé fût tombée dessus, et en eût arrêté le mouvement. Je me rappelle bien que, surmontant cette faiblesse par une secousse assez violente, je crus n’avoir porté mon âme qu’au degré de l’équilibre : mais j’ai eu lieu de juger depuis, en m’examinant mieux, qu’elle avait été jetée fort loin au delà du but. Mais je m’étais trompé sur M. Gin : ce fut M. le premier président qui m’interrogea sur mon nom, sur mon âge et mes qualités ; son air de bonté, le son d’une voix qui jusqu’alors ne m’avait fait entendre que des choses obligeantes, me rendit une partie de ma sérénité.

« N’avez-vous pas eu, continua-t-il, un procès contre le comte de la Blache, sur le d Goëzman étant nommé votre rapporteur, i vous avez cherche à le voir chez lui, par plusieurs courses réitt r

nse ayant un peu d’étendue. M. le président me dit : « Soyez concis, monsieur : ■ •u non à tout ce qu’on vous demande. ■> Alors il me fit deux ou tl tort simples, qui n’exigeaient de moi aucune explirmai dans l’ordre qu’il m’a islrat m’ayant interrogé

d’une manière plu— i’1 ardeur de répondre m’écartant du profond respect dû à M. le premier ; plus occupé du fond de mes idées que de la manière de les rendre, j’articulai vivement : « Monsieur. la question n’est pas bien

; non. »

À l’instant il s’éleva un murmure de défaveur contre moi, qui me punit de mon indiscrétion ; je i faute, et. voulant m’en relever sur-le-champ : Si mon expression, m —à la cour, je la supplie de considérer que je ne puis avoir ici l’intention de manquer de respect à M. le premier président ; je la supplie d’avoir la bonté de s’arrêter uniquement au sens que je donne à mon idée, peut-être mal rendue. Je ne puis répondre par oui ou non, comme on me l’a ordonné, qu’à une question fort simple, et non lorsqu’elle est complexe comme celle-i :. M. le premier président me demande :

« X’avez-vous pas remis ou fait n une sornn

dame G :’suffi âge

mari ?

dis oui, j’avoue la corruption : si je dis non, je nie le sacrifice. Or, je supplie la cour de me pardonner si j’observe que sur des intercette nature il m’est impossible de me renfermer dans la concision qui m’est recommandée : une réponse obscure tournerait contre moi, et la cour n’a pas intention de me tendre des — Il est certain qu’en ce moment je n’eus que dos — : rendre à la cour, et surtout à M. le président, de la bonté d’oublier 1 roideur que contenait ma première répons — — — Ite nouvelle occasion d’en témoigner aujourd’hui ma reconnaissance à tous les magistrats qui m’écoutaient alors.

Je divisai donc la demande : et, ramenant la questionà son principe : « L’accusation de corruption sur laquelle je me défends, messieurs, n’est fondée que sur la dénonciation M. G man. qui n’est elle-même appuyée que sur un ouï-dire • femme ; mais cette accusée n’a-t-elle pas claré. dans ses récolement et supplément, que le Jay ne lui avait jamais demandé que des audiences ? Le Jay n’a-t-il pas toujours dit à ses interrogatoires que Bertrand ne l’avait charge que de solliciter des au i i.i-ci n’est-il pas convenu partout que ma sœur ne lui avait parlé que d’entres et d’aud s ? Mes di ix — eurs, les sieui la Châtaigneraie, de Uiron et Santerre n’ont-ils pas tous l’impatience qui m’avait porté malgré mes répugnances à faire un sacrifice d’argent ne venait que de l’impossibilité d’avoir autrement des audiences ? Or, quand je me fonde avec droit sur la dénoni U G’.man pour l’accuser de m’avoir calomnié en me taxant de corruption, pourrait-on user de cette même pièce contre moi pour établir que j’ai voulu le corrompre ?