tendre que quatre audiences accordées sans intérêt en trois jours doivent faire soupçonner que mes sacrifices d’argent avaient un autre objet. En attendant qu’il prouve les quatre audiences, je lui soutiens, moi, que je n’en ai reçu qu’une. Mais, malgré le témoignage d’un homme public et sermenté, du sieur Santerre, mon gardien, qui ne me quittait pas, la contradiction sur un fait aussi grave étant positive entre M. Goëzman et moi, la cour n’a pas négligé d’acquérir les lumières qu’une confrontation indiquée par la loi devait répandre sur l’affaire en général, et sur ce point en particulier. Elle apprendra bientôt comment, à cette occasion, mon digne rapporteur est sorti des mains de son humble client.
Les faits ainsi posés, discutés, approfondis, et les témoins, les accusés, les contradicteurs même détruisant à l’envi le système absurde de la corruption établi contre moi par M. Goëzman, il faut en revenir à cette autre question.
Lorsque le malheur des affaires jette un infortuné sous la dépendance d’un pareil juge, que doit-il faire ? Refuser de l’or ! On ne l’aborde pas autrement. En donner, et se plaindre de la vexation ! On peut se voir à l’instant accusé, décrété, prêt à périr. Entre deux extrémités, quel parti prendre ? Voilà le vrai problème : mais, en bonne justice, je ne me crois pas plus obligé de le résoudre, que de relever sérieusement le reproche singulier de séduction que me fait madame Goëzman, dans son supplément divisé par première, seconde et troisième atrocité ; et le reproche plus singulier encore que beaucoup de gens me font de n’y avoir pas répondu dans mon dernier mémoire.
Vous avez osé (c’est madame Goëzman qui parle, page 10), en présence du commissaire, du greffier, etc., me dire que je vous aurais, si je voulais, l’obligation de n’être point enfermée par mon mari. Vous avez poussé l’impudence plus loin encore : vous avez osé ajouter (pourquoi suis-je forcée de rapporter des propos aussi insolents qu’ils sont humiliants pour moi ?), vous avez osé ajouter, dis-je, que vous finiriez par vous faire écouter ; que vos soins ne me déplairaient pas un jour ; que… Je n’ose achever, je n’ose vous qualifier.
Fi donc ! des points !… Il fallait oser, madame ; il fallait achever, il fallait me qualifier. Que voulez-vous donc dire avec vos points !… Vous mettez là de jolies réticences dans vos mémoires… Je répondais à toutes vos injures par des compliments généraux, qu’il paraît qu’un amour-propre éveillé vous a fait prendre du bon ou du mauvais côté, comme il vous plaira l’entendre : mais des points… Vous me feriez une belle réputation ! Quelle femme honnête voudrait jamais m’admettre, si je ne détruisais pas l’impression que vous donnez ici de mon cavalier respect pour les dames ? Quelle femme oserait se croire en sûreté chez elle avec moi, quand elle penserait que la femme de mon ennemi même, agitée, furibonde, et, critique à part, dénuée de ces grâces touchantes, de cette douceur qui fait le charme de son sexe, en plein greffe et devant le juge et le greffier, a couru des risques avec moi d’un genre à exiger des points … et qu’elle se croit en droit de me traduire aujourd’hui en justice comme un audacieux effronté, moi qui n’étais devant elle alors qu’un très, très, très-modeste confronté : je m’en souviens bien.
Il est atroce (dites-vous, page 1) que ce séducteur préparé au combat (le joli choix d’expressions !) jette un coup d’œil de compassion sur une femme timide (la peste ! quelle timidité !) ; qu’il triomphe de l’avoir fait rougir, lui qui ne rougit jamais. Oh ! pour cela, madame, c’est bien pure malice à vous de dire que je ne rougis jamais, moi qui, sans reproche, ai eu la bonté de baisser les yeux pour vous deux ou trois fois, pendant que le greffier lisait les décentes raisons que vous aviez données de votre défaut de mémoire ! À la vérité je ne rougissais pas, mais je faisais plus : je voulais rougir pour vous en donner l’exemple ; et je ne doute pas que M. de Chazal n’ait rendu compte à la cour du ton doux et poli dont j’ai répondu aux mâles injures d’une femme faible, et peu faite, par son inexpérience, pour entrer en lice avec un séducteur adroit.
En vérité, madame, vous avez de si singulières expressions, qu’on dirait que vous y entendez finesse. Une femme faible, et peu faite, par son inexpérience, pour entrer en lice avec un séducteur adroit ! Mais c’est que, loin d’être une femme faible, vous étiez, madame, à ces confrontations, la femme forte, la véritable femme forte, provoquant, injuriant, maudissant, et parlant, parlant, parlant… Quant à votre inexpérience pour entrer en lice, voilà sur quoi, par exemple, il m’est impossible de prononcer, moi qui me suis toujours tenu dans le plus respectueux éloignement de la lice. Avec un séducteur adroit ! Il ne tiendrait qu’à moi de prendre encore cela pour un compliment, et de le rapporter à ce qu’on appelle proprement la séduction d’une femme : car si vous l’entendez du côté de l’argent que moi, séducteur adroit, vous ai envoyé par l’adroit séducteur Bertrand, qui l’a remis à l’adroit séducteur le Jay, qui l’a remis, comme on sait, très adroitement dans votre carton de fleurs, vous m’avouerez qu’il n’y a pas là de quoi me vanter d’une merveilleuse adresse en fait de séduction.
Quoi qu’il en soit, un seul exemple va mettre la cour en état de juger lequel des deux contendants est sorti de son caractère à ces confrontations. Il était dix heures du soir, nous touchions à la fin de la première séance : Homme atroce, me dites-vous (et j’en tremble encore), on vient de faire la lecture de mes interrogatoires, et vous remettez à demain à y répondre, pour avoir apparemment le