Page:Beaumarchais - Œuvres complètes, Laplace, 1876.djvu/391

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
291
MÉMOIRES.

être rapportée l’après-midi, et que de l’autre il lui était essentiel d’avoir une conférence avec son rapporteur, sur de nouvelles objections qu’il avait faites la veille à l’ami dont le suppliant était accompagné. Toutes les instances du suppliant furent inutiles. Ne pouvant se faire ouvrir la porte de son juge, il pria la portière de lui permettre d’écrire dans sa loge les réponses qu’il s’était flatté de faire verbalement, et il donna six livres à un laquais pour faire parvenir ces réponses à M. Goëzman.

Le même jour, le délibéré fut rapporté sur les sept heures du soir ; le suppliant perdit sa cause.

Le même soir, les deux rouleaux de louis et la montre furent rendus à la sœur du suppliant ; mais madame Goëzman garda les quinze louis qu’elle avait exigés pour le secrétaire.

Le suppliant s’informa de ce secrétaire si ces quinze louis lui avaient été remis : celui-ci répondit qu’on ne les lui avait pas même offerts, et qu’il ne les aurait pas acceptés.

Le suppliant, soupçonnant le sieur le Jay, qu’il ne connaissait pas encore, d’avoir voulu s’approprier ces quinze louis, pria le sieur Dairolles de lui demander ce qu’ils étaient devenus.

Le sieur le Jay les demanda à madame Goëzman, qui, pour toute réponse, dit que ces quinze louis devaient lui rester.

Cette réponse fut rapportée au suppliant ; le sieur le Jay lui fit même dire que, pour se rendre certain du fait, il pouvait en écrire à madame Goëzman.

Le suppliant lui écrivit en effet, le 21 avril, une lettre dont il a rapporté les termes dans son mémoire à consulter, page 244 : il lui marque en substance qu’on a rendu de sa part les deux rouleaux de louis et la montre à répétition, mais qu’on n’a point rendu les quinze louis ; qu’il n’est pas juste qu’il les perde ; que ces quinze louis n’ont pas dû s’égarer dans ses mains, et qu’il espère qu’elle les lui fera remettre.

Madame Goëzman, feignant de ne pas entendre cette lettre, quoique très-claire, envoya chercher le sieur le Jay, et lui dit que le suppliant lui demandait les cent louis et la montre.

Le sieur le Jay protesta qu’il les avait rendus ; il vint trouver la sœur du suppliant, et lui fit part des plaintes de madame Goëzman. La dame de Lépine voulut le rassurer, en lui disant que dans la lettre de son frère il n’était question ni des cent louis ni de la montre, mais seulement des quinze louis exigés pour le secrétaire, auquel ils n’avaient pas été donnés : le sieur le Jay était si troublé des plaintes amères que madame Goëzman lui avait faites, qu’il n’en voulut rien croire. Heureusement le suppliant avait gardé copie de sa lettre ; il l’envoya à sa sœur pour la montrer au sieur le Jay, qui la porta sur-le-champ à madame Goëzman, et qui lui fit voir, par la confrontation qu’elle fit elle-même de la copie avec l’original, qu’il ne s’agissait dans l’un comme dans l’autre que des quinze louis, qu’elle s’obstina à ne pas vouloir rendre.

Comme la négociation pour obtenir des audiences de M. Goëzman s’était faite par différentes personnes, que les cent louis et la montre avaient été rendus devant plusieurs témoins, et que le fait des quinze louis indûment retenus faisait du bruit ; M. Goëzman, qui craignit avec raison des reproches de sa compagnie, imagina, pour s’en garantir, un moyen qui aurait répugné à toute âme un peu délicate : il envoya chercher le sieur le Jay, et lui dicta une déclaration que cet homme faible, et peut-être interdit par des menaces, écrivit et signa, et dont il emporta la minute entièrement écrite de la main du magistrat. Ç’a été sur cette minute que le commis du sieur le Jay en a fait une copie, qui a été remise à M. Goëzman, qui l’a déposée depuis au greffe de la cour.

Muni de cette déclaration signée du sieur le Jay, M. Goëzman, dont elle était l’ouvrage, fit une dénonciation aux chambres. Il dit dans sa note imprimée, page 4, qu’il y a été forcé par le vœu de la chambre des enquêtes ; ce n’était point une dénonciation que MM. des enquêtes exigeaient de lui, mais une justification.

Quoi qu’il en soit, il dit dans cette dénonciation qu’on avait eu la témérité, de la part du suppliant, de faire proposer à sa femme un présent considérable pour l’engager à solliciter son suffrage, et qu’à cause de la perte du procès on avait osé empoisonner la manière même avec laquelle cette offre honteuse avait été rejetée : il dit ensuite qu’il a interrogé sa femme, qui est convenue des présents offerts, mais qui lui a soutenu les avoir refusés ; que ç’a été par délicatesse qu’elle n’a point voulu compromettre la personne interposée ; que cette personne, pénétrée de douleur d’avoir commis une faute dont elle ne sentait point les conséquences, a déclaré à lui, M. Goëzman, les circonstances qui ont accompagné et suivi l’offre et le refus ; qu’il est en état d’administrer la preuve du délit dont se sont rendus coupables ceux qui, après avoir tenté de séduire sa femme, ont empoisonné par des discours offensants les refus qu’ils ont essuyés.

Tel est le contenu de la dénonciation par laquelle M. Goëzman défère le suppliant à la justice, comme coupable d’avoir voulu le corrompre, et de l’avoir ensuite calomnié. M. Goëzman y dénonce aussi le sieur le Jay, dont il avait surpris la signature au bas de la déclaration qu’il lui avait dictée. Ainsi cette déclaration par lui suggérée est devenue dans ses mains un instrument pour perdre le sieur le Jay lui-même. Quel procédé de la part d’un magistrat !

Sur cette dénonciation, il a été arrêté que M. le procureur général rendrait plainte et ferait information. La plainte contient les mêmes faits de la prétendue séduction mise en usage auprès de ma-