douce invitation que fait le maladroit à l’autre maladroit de se joindre à lui pour me dénigrer. Il me suffit d’avoir démasqué l’imposture, c’est un mérite que je serais jaloux de partager avec vous. Enfin, pour couronner l’œuvre, un troisième maladroit, aux mêmes gages que les deux autres, écrit au premier : Si mon témoignage est nécessaire à l’appui de ces faits, je ne m’y refuserai point. Et voyez Marin s’extasier de son adresse, et s’écrier : Assurément on ne dira pas que ces lettres soient mendiées, qu’elles soient concertées ; et, pour qu’on ne puisse jamais douter que ces lettres sont de lui, nous dire ensuite spirituellement : Les sieurs Mercier et Adam (ses commis), indignés de l’audace du sieur de Beaumarchais, ont eux-mêmes écrit également les deux lettres suivantes. Ces commis qui ont écrit eux-mêmes et Marin qui certifie que c’est bien eux-mêmes qui ont écrit ! Lorsque le maître de classe au collège avait fait nos épitres de bonne année, il ne manquait jamais de certifier à tous les parents, au bas de la copie, que c’étaient les enfants eux-mêmes qui les avaient écrites ; et par le mot écrire il entendait, comme le précepteur Marin, composer, dicter : et les bons parents larmoyaient de plaisir de voir leurs enfants de petits prodiges : comme vous et moi pleurons de joie de voir les défenses de M. Goëzman et la Gazette de France en des mains aussi pures, et livrées à des gens aussi véridiques.
Ceci me ramène tout naturellement, comme on voit, à M. Goëzman : car le sieur Marin n’a jamais été pour moi qu’un pont-volant jeté légèrement sur le ravin, pour atteindre l’ennemi à la rive opposée. Que si l’on trouve par hasard un rapport intime entre la conduite du sieur Marin envers Bertrand, et celle que tenait en même temps M. Goëzman envers le Jay, ce ne sera pas ma faute ; moins encore si, ne tirant de ma part aucunes conséquences de tous ces rapports contre ce magistrat, le parlement bien éclairci se trouve en état de les tirer lui-même.
Mais que de monde occupé à vous soutenir, monsieur ! Tot circa unum caput tumultuantes deos ! tant d’amis qui parlent si haut pour vous, quand vous vous défendez si mal ! on voit bien qu’il vous est plus aisé de trouver de grands défenseurs que de bonnes défenses. Cependant, en contemplant votre édifice soutenu par madame Goëzman, les sieurs Marin, Bertrand, Baculard et autres, on est tenté de retourner sa phrase, et de convenir que vos défenseurs ne valent pas mieux que vos défenses ; puis, comparant ce que vous écrivez vous-même avec les mémoires ou lettres de tous ces messieurs, on est forcé de refaire encore son thème, et d’avouer que, toutes mauvaises que sont vos défenses, elles valent encore mieux que vos défenseurs. Quant à moi, pour ne vous laisser rien à désirer sur mon opinion à cet égard, je vous dirai franchement qu’à votre place, et pour mon usage, je ne voudrais pas plus de vos défenseurs que de vos défenses.
Mais je ne confonds pas avec ces défenses les services essentiels que vous rend publiquement M. le président de Nicolaï. Mon profond respect pour le nom de Nicolaï, qui a toujours tenu un rang distingué dans la robe et dans l’épée, celui que je porte à tous messieurs les présidents à mortier, surtout celui que M. le président de Nicolaï sait bien que j’ai pour sa personne, aurait peut-être dû me faire trouver grâce à ses yeux dans une querelle qui lui était si étrangère.
Cependant j’apprenais de tous côtés que M. le président de Nicolaï, non content de solliciter en faveur de M. Goëzman, parlait dans le monde très-désavantageusement de moi. Il me revenait aussi que MM. Gin et Nau de Saint-Marc semaient, au sujet du procès auquel la plainte de M. le procureur général avait donné lieu, les discours les plus indiscrets, soit en montrant toute leur partialité pour M. Goëzman, soit en m’injuriant sans aucune retenue.
Mais, quoiqu’il me fût très-essentiel de prendre les voies de droit pour écarter de pareils juges, j’eus la respectueuse délicatesse de dire, par ma requête du mois d’août dernier, que je m’en rapportais à leur déclaration, sur la vérité des faits qui y étaient exposés. Par l’arrêt qui intervint, la cour leur donna acte des déclarations par eux faites, et en conséquence elle mit néant sur ma requête.
Depuis ce temps je suis resté tranquille, quoique M. le président de Nicolaï non-seulement ait continué à me déchirer sans ménagement, mais encore ait ouvertement sollicité pour M. Goëzman, qu’il conduit chez tous nos juges, et dont il distribue et fait distribuer publiquement les mémoires chez lui. Ce n’est plus même un secret, qu’il a conseillé M. Goëzman dans cette affaire. M. Goëzman nous l’apprend dans sa note imprimée, page 6, où il s’exprime ainsi : Ce fut d’après le conseil d’un des présidents de la cour (M. de Nicolai : il est trop généreux pour me démentir), que j’ai exigé du sieur le Jay qu’il déclarât par écrit…, etc. M. le président de Nicolaï a donc conseillé M. Goëzman ; c’est par son conseil que M. Goëzman a fait faire une déclaration au sieur le Jay. Or, l’art. 6 du tit. xxiv de l’ordonnance de 1667 porte que le juge pourra être récusé, s’il a donné conseil, s’il a sollicité ou recommandé. M. de Nicolaï est doublement dans le cas de cet article, puisqu’il a donné conseil et qu’il sollicite ouvertement. D’après cela, je me suis cru en droit de profiter de la disposition de la loi, et de donner en conséquence, le 16 décembre 1773, ma requête en récusation contre M. de Nicolaï ; et, comme il m’est aussi important d’écarter ses sollicitations que son suffrage, j’ai observé à la cour, par cette requête, que l’article 14 de l’ordonnance de François Ier, de 1539, défend expressément à