Page:Beaumarchais - Œuvres complètes, Laplace, 1876.djvu/373

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Goëzman, dans le cours de ce mémoire, parlent toujours comme s’ils n’avaient pas lu mon supplément (qui était dans leurs mains depuis dix jours quand ils ont imprimé) ; et de temps en temps ils glissent des phrases adroites, des demi-réponses à ce que j’y ai dit : comme si, de leur chef, ils avaient prévenu toutes mes objections avant de les connaître. Réellement il y a du plaisir à voir cela.

À l’égard du reproche que M. Goëzman fait à la cour, de la conduite qu’elle a tenue envers le Jay, et qui, dit-il, a paru étonnante à bien des personnes instruites ; la cour est bonne et sage pour juger quel cas elle doit faire de la mercuriale de M. Goëzman. Mais la vérité est que cette phrase n’est jetée en avant que pour éluder indirectement, par une réflexion sévère, le reproche d’avoir dit à le Jay : Mon cher ami, j’ai arrangé les choses de façon que vous ne serez entendu que comme témoin. Dans un autre mémoire, il dira : Comment aurais-je tenu de pareils propos à le Jay, moi qu’on a vu blâmer publiquement la conduite modérée de la cour à son égard ? et les gens inattentifs, qui ne se rappelleront pas que la réflexion n’est venue que depuis le reproche, diront : Voyez la méchanceté de ce Beaumarchais !

Je passe les neuf ou dix pages qui suivent, parce qu’elles ne contiennent qu’un remplissage rebutant sur ma prétendue subornation de le Jay, que j’ai vu, pour la première fois, le 8 septembre, c’est-à-dire près de quatre mois après tous ces misérables détails de subornation. J’en saute encore deux ou trois autres, parce que le respect que tout Français a pour le grand Sully ferme la bouche, d’indignation de voir à quelle comparaison lui et madame de Rosny sont ravalés dans ce mémoire. Madame de Rosny rendit à Robin ses 8000 écus ; et vous, madame, non-seulement vous gardez les quinze louis, mais vous avez l’intrépidité d’accuser le Jay de ne vous les avoir pas remis, quoique ce fait soit prouvé au procès jusqu’à l’évidence. Aussi, madame, on a beau vous comparer tantôt à la femme de César, tantôt à la femme de Sully, avec de pareils procédés vous ne serez jamais que la femme de M. Goëzman.

Page 41. Le sieur Caron se plaint… que la première audience que le sieur le Jay lui avait promise lui a été accordée à une heure qui la rendait inutile. Pas un mot de cela. J’ai dit : « L’agent n’écrit qu’un mot, j’en suis le porteur, la dame le reçoit, et le juge paraît. Cette audience si longtemps courue, si vainement sollicitée, on la donne à neuf heures, à l’instant incommode où l’on va se mettre à table. »

Incommode pour vous ne veut pas dire inutile pour moi : l’incommodité de l’heure n’est citée là que pour prouver qu’il avait fallu des motifs d’un grand poids pour vous faire ouvrir cette porte à l’heure incommode du souper.

Mais, dites-vous, puisque la table était servie, l’on n’attendait donc pas à cette heure-là le sieur Caron. Et la lettre, madame ! la lettre remise au châtain clair ! Vous oubliez cette lettre magique, à laquelle la meilleure serrure ne résiste point. Les plus grands efforts n’avaient pu jusqu’alors en ébranler le pêne ; la plus simple cédule, au nom de le Jay, fait rouler la porte à l’instant sur ses gonds : cela n’est-il pas admirable ?

Vous faites ensuite un mortel calcul des messages des sieurs Bertrand et le Jay chez vous, samedi et dimanche. Voici ma réponse, je la crois péremptoire : c’est qu’il m’a été compté en ces deux jours pour douze francs de fiacres par le sieur Bertrand, et que le sieur le Jay en réclame encore autant aujourd’hui pour les mêmes courses.

Passons à des objets plus sérieux.


À vous, M. Marin.

Ce n’était donc pas assez pour vous, monsieur, de vouloir accommoder l’affaire de M. Goëzman ; il vous manquait encore de la plaider. À quoi se réduit votre mémoire ? À dire que vous n’étiez pas l’ami de M. Goëzman, et que vous étiez le mien : voilà bien les assertions ; reste à débattre les preuves.

Vous n’étiez pas son ami ! Si vous ne l’étiez pas, pourquoi donc, lorsque je vous visitai, le 2 avril, avec mon gardien le sieur Santerre, me dîtes-vous que M. Goëzman vous devait sa fortune (car vous êtes un grand bienfaiteur) ; que c’était vous seul qui l’aviez fait connaître à M. le chevalier d’A…, lequel l’avait présenté à M. le duc d’A…, ce qui l’avait mené à s’asseoir enfin au grand banc du Palais ? Pourquoi donc me dîtes-vous que sa femme venait vous voir assez souvent le matin ; que vous lui aviez donné un libraire et des débouchés pour la vente de je ne sais quelles brochures de son mari ?

Si vous n’étiez pas son ami, pourquoi donc, quand je vous appris qu’il était mon rapporteur et que j’avais été en vain trois fois chez lui la veille, me répondîtes-vous : Oui, il est comme cela ? Quand je vous dis qu’on en parlait très-diversement, et que je vous demandai quel homme c’était, pourquoi me prîtes-vous par la main en faisant des excuses à mon gardien, et m’emmenâtes-vous dans un cabinet intérieur, où vous m’apprîtes tout ce qu’il y avait à m’apprendre sur l’objet de ma consulte ?

Si vous n’étiez pas son ami, pourquoi, lorsque je vous fis sentir combien il était important pour moi d’obtenir une ou deux audiences de lui, me dîtes-vous ; J’arrangerai ça, je verrai ça ; laissez-moi faire, je vous ouvrirai toutes ces portes-là ? etc., etc., etc.

Dans la même journée, lorsqu’on m’eut procuré l’intervention de le Jay, et qu’un homme de bon sens m’eut dit : Je vous conseille de vous en tenir au libraire, qui sera sûrement moins cher