doit faire rejeter avec mépris la preuve tirée contre moi du silence de celle-ci ; à moins qu’on ne suppose que, pendant ces quatre jours où je fis des sacrifices de toute espèce pour parvenir à être introduit chez cet invisible rapporteur, je ne me sois pas présenté à sa porte une seule fois. La patience échappe de voir un grave magistrat se défendre avec de tels moyens.
Et pourquoi tant d’absurdité, je vous prie ? Pour amener un autre sophisme encore plus vicieux que le premier.
Pour établir que j’ai eu l’intention de gagner le suffrage du rapporteur, en faisant le sacrifice auquel on m’a forcé, l’on ose opposer le silence de cette liste à la déposition de la dame Lépine, de la demoiselle de Beaumarchais, des sieurs Santerre, de la Châtaigneraie, de Miron, Bertrand, le Jay, qui tous ont attesté que jamais je n’ai sollicité que des audiences ; on l’ose opposer au récolement même de madame Goëzman, qui pouvait seule contredire tant de témoignages, et qui, sans le vouloir, unit son attestation à celle de tout le monde. Je déclare que jamais le sieur le Jay ne m’a présenté d’argent pour gagner le suffrage de mon mari, qu’on sait bien être incorruptible ; mais qu’il sollicitait seulement des audiences pour le sieur de Beaumarchais : attestation confirmée dans un supplément imprimé de madame Goëzman, où elle s’énonce en ces termes : J’ai dit, j’en conviens, que le sieur le Jay, en m’offrant des présents de la part du sieur Caron, avait masqué ses intentions criminelles par une demande d’audiences ; et où elle ajoute encore, de peur qu’on ne l’oublie : Ne voit-on pas que je ne fais que rapporter les discours du sieur le jay ?
Eh mais, madame, si les discours de le Jay furent tels que vous le dites, comment donc espérez-vous, par le seul silence de votre liste, prouver qu’un argent reçu par vous pour des audiences, des mains de le Jay ; qui l’avait reçu pour des audiences, de Bertrand ; qui l’avait reçu pour des audiences, de la dame Lépine ; qui l’avait reçu pour des audiences, du sieur de la Châtaigneraie ; qui me l’avait prêté pour des audiences ; que cet argent, dis-je, ait été destiné par moi pour gagner le suffrage de monsieur votre mari, qu’on sait être incorruptible ?
Voilà pourtant, madame, comment vous raisonnez ; voilà comment, du seul silence d’une liste qui n’est, comme tout autre silence, qu’une négation, une absence de bruit, d’écriture, de mouvement ou d’action, le néant, en un mot rien du tout, vous inférez une intention, laquelle n’est par sa nature qu’un autre être de raison ; et cela pour m’inculper, moi qui ne vous ai rien dit, que vous n’avez pas même vu, qui n’ai eu de relation avec vous qu’à travers un monde de personnes, dont tous les témoignages, ainsi que vos aveux, s’unissent en ma faveur.
Il est donc bien démontré par les dépositions des témoins, par les interrogatoires des accusés, par les mémoires de tout le monde, par votre récolement, votre supplément, tous vos raisonnements enfin, que je n’ai jamais désiré ni demandé autre chose de vous que des audiences ; il est bien démontré que la conséquence tirée de la liste n’est qu’une platitude mal inventée, plus mal soutenue, encore plus mal prouvée ; et surtout il est bien démontré qu’on m’a fait perdre quatre ou six pages à me battre à outrance et à ferrailler contre un moulin à vent d’intention, de corruption et de liste, qui ne m’a été opposé que pour faire bâiller le lecteur, embrouiller l’affaire, et me rendre, en répondant, aussi ennuyeux que le mémoire où l’on m’a tendu ce piége ridicule.
À la grave autorité de cette liste, madame, vous joignez celle du billet que le comte de la Biache vous a, dites-vous, écrit alors, et qui lui a suffi pour être admis chez vous : lequel billet vous avez gardé précieusement. Ô bon le Jay ! réclamez vos droits, mon ami ; l’on vous pille ici : cette naïveté est de votre force ! la liste du portier, le billet du comte de la Blache en preuves ! Ce n’est pas que ce gentilhomme, descendu des Alpes exprès pour devenir à Paris un riche légataire, ne soit bien fait pour obtenir de M. Goëzman des préférences de toute nature.
Mais permettez, madame, n’auriez-vous pas un peu manqué de goût ici ? Pour que son billet eût quelque force, il me semble qu’il n’eût pas fallu imprimer ensuite la lettre à ma louange qu’il vous a écrite de Grenoble, dont les expressions, dites-vous, évidemment dictées par l’honneur révolté, sont de nouvelles preuves de l’atrocité de mes imputations.
Il me semble qu’il eût mieux valu présenter quelque autre preuve de mes atrocités, qu’une lettre du comte de la Blache, qui, depuis dix ans, fait profession ouverte de me haïr avec passion ; où l’on lit : Il manquait peut-être à sa réputation celle du calomniateur le plus atroce (c’est de moi dont l’auteur entend parler), pour en faire un monstre achevé (qu’ils sont doux, nos adversaires ! lettres, mémoires, tout est fondu dans le même creuset) ; la vôtre est trop au-dessus de pareilles atteintes pour en être alarmée (une réputation alarmée des atteintes qu’on lui porte ! quelle phrase alsacienne !) ; c’est le serpent qui ronge la lime. (Il fallait dire : C’est la lime qui ronge le serpent ; il y aurait eu deux ou trois images rassemblées, et surtout une allusion à l’état de mon père, et cela eût été superbe : on y songera une autre fois.) La justice qu’on vous doit servira à purger la société d’une espèce aussi venimeuse. Cette lettre, madame, est d’un bout à l’autre un échantillon de la manière dont le comte de la Blache plaidait sa cause dans tous les cabinets des juges, pendant que j’étais en prison. Et je la crois plus propre à desservir le comte de la Blache qu’à vous servir vous-même. C’est dans les lois que les Beaumarchais