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ADDITION AU SUPPLÉMENT
DU
MÉMOIRE À CONSULTER


Servant de réponse à madame Goëzman, accusée ; au sieur Bertrand Dairolles, accusé ; aux sieurs Marin, gazetier de France, et d’Arnaud Baculard, conseiller d’ambassade, assignés comme témoins.

Écrivez, monsieur, que je ne me mêle ni des audiences de mon mari ni des affaires de son cabinet, mais seulement de mon ménage, etc.

(Confrontation entre madame Goëzman et moi.)


Eh bien, madame, il est donc décidé que je vous trouverai toujours en contradiction ? Vous ne vous mêlez, dites-vous, ni du cabinet ni des audiences de monsieur votre mari ; et sur les audiences de ce même cabinet vous nous donnez un mémoire bien long, bien hérissé de textes d’ordonnances, de passages latins, de citations savantes, le tout renforcé des plus mâles injures ; vous nous argumentez dans cinquante-quatre mortelles pages, comme un docteur ès lois, sans vous soucier pas plus de répondre à mes mémoires que s’ils n’existaient point, ou ne traitaient pas l’affaire à fond.

Mais à qui parlé-je aujourd’hui ? Est-ce à madame ? Est-ce à monsieur ? Qui des deux a plaidé ? Ce ne peut être vous, madame : vous ne vous piquez certainement pas d’entendre un mot des choses qu’on y traite. Ce ne peut pas être monsieur non plus : l’ouvrage serait plus conséquent, il irait au fait ; on n’y rebattrait pas des objets combattus d’avance par mon supplément, qui était entre ses mains plus de douze jours avant la publication de ce mémoire.

Quoi qu’il en soit, il me convient mieux, madame, de vous adresser la parole. Indépendamment du respect et des égards qui vous sont dus personnellement, le souvenir que je parle à une femme contiendra la juste indignation que j’aurais peine à maîtriser autrement. Ce n’est pas que tous ceux qui m’ont fait l’honneur d’écrire contre moi ne doivent trouver ici le juste salaire de leurs soins obligeants. En m’éloignant le moins possible du fond de la question dont chacun cherche à me distraire, je ne laisserai pas, chemin faisant, que de répondre à tout le monde : et l’on doit me savoir gré de ma civilité.

Car tant que vous ne détruirez pas les faits articulés dans mon Supplément ; tant que vous ne prouverez pas que j’ai dit faux sur les débats de notre confrontation, sur vos aveux forcés, sur les contradictions de vos interrogatoires ; tant que vous ne laverez pas M. Goëzman de l’infamie d’avoir suborné le Jay, d’avoir minuté la déclaration chez lui, dans sa maison, à son bureau, avant qu’il y eût de procédure entamée, et d’avoir fait et nié les faux remarqués dans ces déclarations ; tant que vous ne me prouverez que je suis un imposteur que par des injures, des lettres mendiées et des récriminations étrangères à la cause, je ne suis pas tenu d’user mon temps à vous répondre.

Six mémoires à la fois contre moi ! c’était assez d’un seul pour mes forces ; et je me vois accablé sous les boucliers des Samnites. Mais c’est une plaisante ruse de guerre que de dire, comme le comte de la Blache : Cette affaire dérangera sa fortune, il faut gagner sur le temps, plaider longuement, surtout le consumer en menus frais, et le désoler comme un essaim de frelons : six réponses lui coûteront dix à douze mille francs d’impression, dans le temps que tous ses biens sont saisis, et qu’il n’a pas dix à douze écus de libres au monde. Est-ce là votre projet, messieurs ? Il est sans doute très-bon contre moi ; mais croyez qu’il ne vaut rien pour vos défenses ; et j’écrirai que vous ne vous défendez seulement pas ; et je le répéterai jusqu’au tronçon de ma dernière plume ; j’y mettrai l’encrier à sec ; et quand je n’aurai plus de papier, j’irai jusqu’à disputer vos mémoires aux chiffonnières, et j’en griffonnerai les meilleurs endroits, qui sont les marges ; j’emploierai le crédit de mon libraire pour en obtenir de l’imprimeur ; et si je n’en trouve aucun traitable sur mes mémoires, je vendrai les premiers pour payer les derniers.

Enfin, vous n’aurez ni trêve ni repos de moi, que vous n’ayez répondu catégoriquement à tous les faits graves dont je vous charge devant le parlement et la nation, ou que vous n’ayez passé condamnation sur tous les chefs : car de vous amuser à critiquer la légèreté de mon style, et donner ma gaieté pour un manque de respect à nos juges, c’est se moquer du monde : il est bien question de cela !

Lorsque Pascal, dans un siècle bien différent du nôtre, puisqu’on y disputait encore sur des points de controverse, écrivait du ton le plus léger, le plus piquant, d’un ton enfin où ni vous, ni le comte de la Blache, ni Me Caillard, ni Marin, ni Bertrand, ni Baculard, ni moi, n’arriverons jamais ; lorsque Pascal, dis-je, reprochait à ses adversaires, du style le plus plaisant, l’étrange morale d’Escobar, Bauny, Sanchez et Tambourin, les gens sensés l’accusèrent-ils de manquer de respect à la religion ? s’offensèrent-ils pour elle qu’il répandît à pleines mains le sel de la gaieté sur les discussions les plus sérieuses ? Après avoir plané légèrement sur les personnes, il élevait son vol sur les choses, et tonnait enfin à coups redoublés, quand sa pieuse indignation avait surmonté la gaieté de son caractère.

Quant à moi, messieurs, si je ris un peu de vos défenses, parce qu’en effet vos défenses sont très-risibles, par quelle logique me prouverez-vous que de vous plaisanter soit manquer de respect au parlement ? Quand il m’arrive d’adresser la parole