cette explication qui a fait chercher Monsieur Fal pour finir ici le contrat. L’heureuse étoile de Monsieur a triomphé de tous mes artifices… Mon maître ! en faveur de trente ans…
Ce n’est pas à moi de juger. (Il marche vite.)
Monsieur Bégearss !
Qui ! moi ? cher ami, je ne comptais guère vous avoir tant d’obligations ! (Élevant son ton.) Voir mon bonheur accéléré par le coupable effort destiné à me le ravir ! (A Léon et Florestine.) O jeunes gens ! quelle leçon ! marchons avec candeur dans le sentier de la vertu. Voyez que tôt ou tard l’intrigue est la perte de son auteur.
Ah ! oui !
Monsieur, pour cette fois encore, et qu’il parte !
C’est là votre arrêt ?… j’y souscris.
Monsieur Bégearss ! je vous le dois. Mais je vois Monsieur Fal pressé d’achever un contrat…
Les articles m’en sont connus.
Hors celui-ci. Je vais vous lire la donation que Monsieur fait… (Cherchant l’endroit.) Hon… hon… hon… Messire James-Honoré Bégearss… Ah ! (Il lit.) « et pour donner à la Demoiselle future épouse une preuve non équivoque de son attachement pour elle, ledit Seigneur futur époux lui fait donation entière de tous les grands biens qu’il possède ; consistant aujourd’hui (Il appuie en lisant.) (ainsi qu’il le déclare et les a exhibés à nous notaires soussignés), en trois millions d’or ici joints, en très bons effets au porteur. » (Il tend la main en lisant.)
Les voilà dans ce portefeuille. (Il donne le portefeuille à Fal.) Il manque deux milliers de louis, que je viens d’en ôter pour fournir aux apprêts des noces.
Monsieur a décidé qu’il payerait tout ; j’ai l’ordre.
En ce cas, enregistrez-les ; que la donation soit entière ! (Figaro, retourné, se tient la bouche pour ne pas rire. M. Fal ouvre le portefeuille, y remet les effets.)
Monsieur va tout additionner, pendant que nous achèverons. (Il donne le portefeuille ouvert à Figaro, qui voyant les effets, dit :)
Et moi j’éprouve qu’un bon repentir est comme toute bonne action, qu’il porte aussi sa récompense.
En quoi ?
J’ai le bonheur de m’assurer qu’il est ici plus d’un généreux homme. Oh ! que le Ciel comble les vœux de deux amis aussi parfaits ! Nous n’avons nul besoin d’écrire. (Au Comte.) Ce sont vos effets au porteur : oui, Monsieur, je les reconnais. Entre Monsieur Bégearss et vous, c’est un combat de générosité : l’un donne ses biens à l’époux ; l’autre les rend à sa future ! (Aux jeunes gens.) Monsieur, Mademoiselle ! Ah ! quel bienfaisant protecteur, et que vous allez le chérir !… Mais que dis-je ? l’enthousiasme m’aurait-il fait commettre une indiscrétion offensante ? (Tout le monde garde le silence.)
Elle ne peut l’être pour personne, si mon ami ne la désavoue pas ; s’il met mon âme à l’aise, en me permettant d’avouer que je tiens de lui ces effets. Celui-là n’a pas un bon cœur, que la gratitude fatigue ; et cet aveu manquait à ma satisfaction. (Montrant le Comte.) Je lui dois bonheur et fortune ; et quand je les partage avec sa digne fille, je ne fais que lui rendre ce qui lui appartient de droit. Remettez-moi le portefeuille ; je ne veux avoir que l’honneur de le mettre à ses pieds moi-même, en signant notre heureux contrat. (Il veut le reprendre.)
Messieurs, vous l’avez entendu ? Vous témoignerez s’il le faut. Mon maître, voilà vos effets ; donnez-les à leur détenteur, si votre cœur l’en juge digne. (Il lui remet le portefeuille.)
Grand Dieu ! les lui donner ! Homme cruel, sortez de ma maison ; l’enfer n’est pas aussi profond que vous ! Grâce à ce bon vieux serviteur, mon imprudence est réparée : sortez à l’instant de chez moi.
O mon ami, vous êtes encore trompé !
Et cette lettre, monstre ! m’abuse-t-elle aussi ?
Ah !… Je suis joué ! mais j’en aurai raison.
Laissez en paix une famille que vous avez remplie d’horreur.
Jeune insensé ! c’est toi qui vas payer pour tous ; je t’appelle au combat.