Rappelez-vous, femme perfide, ce que vous avez fait vous-même ! et comment, recevant un adultère dans vos bras, vous avez mis dans ma maison cet enfant étranger, que vous osez nommer mon fils.
Laissez-moi m’enfuir, je vous prie.
Non, vous ne fuirez pas ; vous n’échapperez point à la conviction qui vous presse. (Lui montrant sa lettre.) Connaissez-vous cette écriture ? Elle est tracée de votre main coupable ! et ces caractères sanglants qui lui servent de réponse…
Je vais mourir ! je vais mourir !
Non, non ; vous entendrez les traits que j’en ai soulignés ! (Il lit avec égarement.) « Malheureux insensé ! notre sort est rempli… votre crime, le mien reçoit sa punition. Aujourd’hui, jour de Saint-Léon, patron de ce lieu et le vôtre, je viens de mettre au monde un fils, mon opprobre et mon désespoir… » (Il parle.) Et cet enfant est né le jour de Saint-Léon, plus de dix mois après mon départ pour la Vera-Cruz ! (Pendant qu’il lit très fort, on entend la Comtesse, égarée, dire des mots coupés qui partent du délire.)
Grand Dieu ! tu ne permets donc pas que le crime le plus caché demeure toujours impuni !
…Et de la main du corrupteur. (Il lit.) « L’ami qui vous rendra ceci, quand je ne serai plus, est sûr. »
Frappe, mon Dieu ! car je l’ai mérité !
Le Comte lit : « Si la mort d’un infortuné vous inspirait un reste de pitié, parmi les noms qu’on va donner à ce fils, héritier d’un autre… »
Accepte l’horreur que j’éprouve, en expiation de ma faute !
« Puis-je espérer que le nom de Léon… » (Il parle.) Et ce fils s’appelle Léon !
O Dieu ! mon crime fut bien grand, s’il égala ma punition ! Que ta volonté s’accomplisse !
Et, couverte de cet opprobre, vous osez me demander compte de mon éloignement pour lui ?
Qui suis-je, pour m’y opposer, lorsque ton bras s’appesantit ?
Et, lorsque vous plaidez pour l’enfant de ce malheureux, vous avez au bras mon portrait !
Monsieur, Monsieur, je le rendrai ; je sais que je n’en suis pas digne. (Dans le plus grand égarement.) Ciel ! que m’arrive-t-il ? Ah ! je perds la raison ! Ma conscience troublée fait naître des fantômes ! — Réprobation anticipée !… Je vois ce qui n’existe pas… Ce n’est plus vous ; c’est lui qui me fait signe de le suivre, d’aller le rejoindre au tombeau !
Comment ? Eh bien ! non, ce n’est pas…
Ombre terrible ! éloigne-toi !
Ce n’est pas ce que vous croyez !
Attends… Oui, je t’obéirai…
Madame, écoutez-moi…
La Comtesse J’irai… Je t’obéis… Je meurs. (Elle reste évanouie.)
J’ai passé la mesure… Elle se trouve mal… Ah ! Dieu ! Courons lui chercher du secours. (Il sort, il s’enfuit. Les convulsions de la douleur font glisser la Comtesse à terre.)
Scène XIV
O ma mère !… ma mère ! c’est moi qui te donne la mort ! (Il l’enlève et la remet sur son fauteuil, évanouie.) Que ne suis-je parti, sans rien exiger de personne ! j’aurais prévenu ces horreurs !
Scène XV
Et son fils !
Elle est morte ! Ah ! je ne lui survivrai pas ! (Il l’embrasse en criant.)
Des sels ! des sels ! Suzanne ! Un million si vous la sauvez !
O malheureuse mère !
Madame, aspirez ce flacon. Soutenez-la, Monsieur ; je vais tâcher de la desserrer.
Romps tout, arrache tout ! Ah ! j’aurais dû la ménager !
Elle est morte ! elle est morte !