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Léon, avec une douleur ardente : O Florestine ! il faut céder : ne pouvant être l’un à l’autre, nos premiers élans de douleur nous avaient fait jurer de n’être jamais à personne ; j’accomplirai ce serment pour nous deux. Ce n’est pas tout à fait vous perdre, puisque je retrouve une sœur où j’espérais posséder une épouse. Nous pourrons encore nous aimer.

Scène VIII : La Comtesse, Léon, Florestine, Suzanne.

Suzanne apporte l’écrin.

La Comtesse, en parlant, met ses boucles d’oreilles, ses bagues, son bracelet, sans rien regarder : Florestine ! épouse Bégearss ; ses procédés l’en rendent digne ; et puisque cet hymen fait le bonheur de ton parrain, il faut l’achever aujourd’hui.

Suzanne sort et emporte l’écrin.

Scène IX : La Comtesse, Léon, Florestine.

La Comtesse, à Léon : Nous, mon fils, ne sachons jamais ce que nous devons ignorer. Tu pleures, Florestine !

Florestine, pleurant : Ayez pitié de moi, Madame ! Eh ! comment soutenir autant d’assauts dans un seul jour ? A peine j’apprends qui je suis, qu’il faut renoncer à moi-même, et me livrer… Je meurs de douleur et d’effroi. Dénuée d’objections contre Monsieur Bégearss, je sens mon cœur à l’agonie en pensant qu’il peut devenir… Cependant il le faut ; il faut me sacrifier au bien de ce frère chéri ; à son bonheur, que je ne puis plus faire. Vous dites que je pleure ! Ah ! je fais plus pour lui que si je lui donnais ma vie ! Maman, ayez pitié de nous ! bénissez vos enfants ! ils sont bien malheureux ! (Elle se jette à genoux ; Léon en fait autant.)

La Comtesse, leur imposant les mains : Je vous bénis, mes chers enfants. Ma Florestine, je t’adopte. Si tu savais à quel point tu m’es chère ! Tu seras heureuse, ma fille, et du bonheur de la vertu ; celui-là peut dédommager des autres. (Ils se relèvent.)

Florestine : Mais croyez-vous, Madame, que mon dévouement le ramène à Léon, à son fils ? car il ne faut pas se flatter : son injuste prévention va quelquefois jusqu’à la haine.

La Comtesse : Chère fille, j’en ai l’espoir.

Léon : C’est l’avis de Monsieur Bégearss : il me l’a dit ; mais il m’a dit aussi qu’il n’y a que Maman qui puisse opérer ce miracle. Aurez-vous donc la force de lui parler en ma faveur ?

La Comtesse : Je l’ai tenté souvent, mon fils, mais sans aucun fruit apparent.

Léon : O ma digne mère ! c’est votre douceur qui m’a nui. La crainte de le contrarier vous a trop empêchée d’user de la juste influence que vous donnent votre vertu et le respect profond dont vous êtes entourée. Si vous lui parliez avec force, il ne vous résisterait pas.

La Comtesse : Vous le croyez, mon fils ? je vais l’essayer devant vous. Vos reproches m’affligent presque autant que son injustice. Mais, pour que vous ne gêniez pas le bien que je dirai de vous, mettez-vous dans mon cabinet ; vous m’entendrez, de là, plaider une cause si juste ; vous n’accuserez plus une mère de manquer d’énergie, quand il faut défendre son fils ! (Elle sonne.) Florestine, la décence ne te permet pas de rester : va t’enfermer ; demande au ciel qu’il m’accorde quelque succès, et rende enfin la paix à ma famille désolée.

Florestine sort.

Scène X : Suzanne, La Comtesse, Léon.

Suzanne : Que veut Madame ? elle a sonné.

La Comtesse : Prie Monsieur, de ma part, de passer un moment ici.

Suzanne, effrayée : Madame ! vous me faites trembler ! Ciel ! que va-t-il donc se passer ? Quoi ! Monsieur qui ne vient jamais… sans…

La Comtesse : Fais ce que je te dis, Suzanne, et ne prends nul souci du reste.

Suzanne sort, en levant les bras au ciel, de terreur.

Scène XI : La Comtesse, Léon.

La Comtesse : Vous allez voir, mon fils, si votre mère est faible en défendant vos intérêts ! Mais laissez-moi me recueillir, me préparer, par la prière, à cet important plaidoyer.

Léon entre au cabinet de sa mère.

Scène XII : La Comtesse, seule, une genou sur son fauteuil.

Ce moment me semble terrible comme le jugement dernier ! Mon sang est prêt à s’arrêter… O