plus tôt ! vous n’auriez pas contre elle des preuves sans réplique !
Le Comte, avec douleur : Oui, sans réplique ! (Avec ardeur.) Otons-les de mon sein : elles me brûlent la poitrine. (Il tire la lettre de son sein, et la met dans sa poche.)
Bégearss continue avec douceur : Je combattrais avec plus d’avantage en faveur du fils de la loi ! car enfin il n’est pas comptable du triste sort qui l’a mis dans vos bras !
Le Comte reprend sa fureur : Lui dans mes bras ? jamais.
Bégearss : Il n’est point coupable non plus dans son amour pour Florestine ; et cependant, tant qu’il reste près d’elle, puis-je m’unir à cette enfant, qui, peut-être éprise elle-même, ne cédera qu’à son respect pour vous ? La délicatesse blessée…
Le Comte : Mon ami, je t’entends ! et ta réflexion me décide à le faire partir sur-le-champ. Oui, je serai moins malheureux, quand ce fatal objet ne blessera plus mes regards : mais comment entamer ce sujet avec elle ? voudra-t-elle s’en séparer ? il faudra donc faire un éclat ?
Bégearss : Un éclat !… non… mais le divorce, accrédité chez cette nation hasardeuse, vous permettra d’user de ce moyen.
Le Comte : Moi, publier ma honte ! quelques lâches l’ont fait ! c’est le dernier degré de l’avilissement du siècle. Que l’opprobre soit le partage de qui donne un pareil scandale, et des fripons qui le provoquent !
Bégearss : J’ai fait envers elle, envers vous, ce que l’honneur me prescrivait. Je ne suis point pour les moyens violents, surtout quand il s’agit d’un fils…
Le Comte : Dites d’un étranger, dont je vais hâter le départ.
Bégearss : N’oubliez pas cet insolent valet.
Le Comte : J’en suis trop las pour le garder. Toi, cours, ami, chez mon notaire ; retire, avec mon reçu que voilà, mes trois millions d’or déposés. Alors tu peux à juste titre être généreux au contrat, qu’il nous faut brusquer aujourd’hui… car te voilà bien possesseur… (Il lui remet le reçu, le prend sous le bras, et ils sortent.) et ce soir à minuit, sans bruit, dans la chapelle de Madame… (On n’entend pas le reste.)
Acte IV
Le théâtre représente le même cabinet de la Comtesse.
Scène première : Figaro, seul, agité, regardant de côté et d’autre.
Elle me dit : "Viens à six heures au cabinet ; c’est le plus sûr pour nous parler…" Je brusque tout dehors, et je rentre en sueur ! Où est-elle ? (Il se promène en s’essuyant.) Ah ! parbleu, je ne suis pas fou ! je les ai vus sortir d’ici, Monsieur le tenant sous le bras… ! Eh bien ! pour un échec, abandonnons-nous la partie ?… Un orateur fuit-il lâchement la tribune, pour un argument tué sous lui ? Mais, quel détestable endormeur ! (Vivement.) Parvenir à brûler les lettres de Madame, pour qu’elle ne voie pas qu’il en manque ; et se tirer d’un éclaircissement !… C’est l’enfer concentré, tel que Milton nous l’a dépeint ! (D’un ton badin.) J’avais raison tantôt, dans ma colère : Honoré Bégearss est le diable que les Hébreux nommaient Légion ; et, si l’on y regardait bien, on verrait le lutin avoir le pied fourchu, seule partie, disait ma mère, que les démons ne peuvent déguiser. (Il rit.) Ah ! ah ! ah ! ma gaieté me revient ; d’abord, parce que j’ai mis l’or du Mexique en sûreté chez Fal, ce qui nous donnera du temps ; (Il frappe d’un billet sur sa main.) et puis… Docteur en toute hypocrisie ! vrai major d’infernal Tartuffe ! grâce au hasard qui régit tout, à ma tactique, à quelques louis semés, voici qui me promet une lettre de toi, où, dit-on, tu poses le masque, à ne rien laisser désirer ! (Il ouvre le billet et dit :) Le coquin qui l’a lue en veut cinquante louis ?… eh bien ! il les aura, si la lettre les vaut ; une année de mes gages sera bien employée, si je parviens à détromper un maître à qui nous devons tant… Mais où es-tu, Suzanne, pour en rire ? O che piacere !… A demain donc ! car je ne vois pas que rien périclite ce soir… Et pourquoi perdre un temps ? Je m’en suis toujours repenti… (Très vivement.) Point de délai ; courons attacher le pétard ; dormons dessus ; la nuit porte conseil, et demain matin nous verrons qui des deux fera sauter l’autre.
Scène II : Bégearss, Figaro.
Bégearss, raillant : Eeeh ! c’est mons Figaro ! La place est agréable, puisqu’on y retrouve Monsieur.
Figaro, du même ton : Ne fût-ce que pour avoir la joie de l’en chasser une autre fois.