Figaro, humblement : Moi, monsieur ?… Je ne les ai plus.
Bégearss : Comment, vous ne les avez plus ?
Figaro, fièrement : Non, Monsieur.
Bégearss, vivement : Qu’en avez-vous fait ?
Figaro : Lorsque mon maître m’interroge, je lui dois compte de mes actions ; mais à vous ? je ne vous dois rien.
Le Comte, en colère : Insolent ! qu’en avez-vous fait ?
Figaro, froidement : Je les ai portés en dépôt chez Monsieur Fal, votre notaire.
Bégearss : Mais de l’avis de qui ?
Figaro, fièrement : Du mien ; et j’avoue que j’en suis toujours.
Bégearss : Je vais gager qu’il n’en est rien.
Figaro : Comme j’ai sa reconnaissance, vous courez risque de perdre la gageure.
Bégearss : Ou s’il les a reçus, c’est pour agioter. Ces gens-là partagent ensemble.
Figaro : Vous pourriez un peu mieux parler d’un homme qui vous a obligé.
Bégearss : Je ne lui dois rien.
Figaro : Je le crois ; quand on a hérité de quarante mille doublons de huit…
Le Comte, se fâchant : Avez-vous donc quelque remarque à nous faire aussi là-dessus ?
Figaro : Qui, moi, Monsieur ? J’en doute d’autant moins, que j’ai beaucoup connu le parent dont Monsieur hérite. Un jeune homme assez libertin, joueur, prodigue et querelleur, sans frein, sans mœurs, sans caractère, et n’ayant rien à lui, pas même les vices qui l’ont tué ; qu’un combat des plus malheureux… (Le Comte frappe du pied.)
Bégearss, en colère : Enfin, nous direz-vous pourquoi vous avez déposé cet or ?
Figaro : Ma foi, Monsieur, c’est pour n’en être plus chargé : ne pouvait-on pas le voler ? que sait-on ? il s’introduit souvent de grands fripons dans les maisons !
Bégearss, en colère : Pourtant, Monsieur veut qu’on le rende.
Figaro : Monsieur peut l’envoyer chercher.
Bégearss : Mais ce notaire s’en dessaisira-t-il s’il ne voit son récépissé ?
Figaro : Je vais le remettre à Monsieur ; et quand j’aurai fait mon devoir, s’il en arrive quelque mal il ne pourra s’en prendre à moi.
Le Comte : Je l’attends dans mon cabinet.
Figaro, au Comte : Je vous préviens que monsieur Fal ne les rendra que sur votre reçu ; je le lui ai recommandé. (Il sort.)
Scène XXIII : Le Comte, Bégearss.
Bégearss, en colère : Comblez cette canaille, et voyez ce qu’elle devient ! En vérité, Monsieur, mon amitié me force à vous le dire : vous devenez trop confiant ; il a deviné nos secrets. De valet, barbier, chirurgien, vous l’avez établi trésorier, secrétaire ; une espèce de factotum. Il est notoire que ce monsieur fait bien ses affaires avec vous.
Le Comte : Sur la fidélité, je n’ai rien à lui reprocher ; mais il est vrai qu’il est d’une arrogance…
Bégearss : Vous avez un moyen de vous en délivrer en le récompensant.
Le Comte : Je le voudrais souvent.
Bégearss, confidentiellement : En envoyant le Chevalier à Malte, sans doute vous voulez qu’un homme affidé le surveille ? Celui-ci, trop flatté d’un aussi honorable emploi, ne peut manquer de l’accepter ; vous en voilà défait pour bien du temps.
Le Comte : Vous avez raison, mon ami. Aussi bien m’a-t-on dit qu’il vit très mal avec sa femme. (Il sort.)
Scène XXIV : Bégearss, seul.
Encore un pas de fait !… Ah ! noble espion ! la fleur des drôles ! qui faites ici le bon valet, et voulez nous souffler la dot, en nous donnant des noms de comédie ! Grâce aux soins d’Honoré-Tartuffe, vous irez partager le malaise des caravanes, et finirez vos inspections sur nous.