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Scène XVI : La Comtesse, Florestine, Léon, Figaro arrivant avec l’équipage du thé ; Suzanne de l’autre côté, avec un métier de tapisserie.

La Comtesse : Remporte tout, Suzanne : il n’est pas plus question de déjeuner que de lecture. Vous, Figaro, servez du thé à votre maître ; il écrit dans son cabinet. Et toi, ma Florestine, viens dans le mien, rassurer ton amie. Mes chers enfants, je vous porte en mon cœur ! — Pourquoi l’affligez-vous l’un après l’autre sans pitié ? Il y a ici des choses qu’il m’est important d’éclaircir. (Elles sortent.)

Scène XVII : Suzanne, Figaro, Léon.

Suzanne, à Figaro : Je ne sais pas de quoi il est question ; mais je parierais bien que c’est là du Bégearss tout pur. Je veux absolument prémunir ma maîtresse.

Figaro : Attends que je sois plus instruit : nous nous concerterons ce soir. Oh ! j’ai fait une découverte…

Suzanne : Et tu me la diras ? (Elle sort.)

Scène XVIII : Figaro, Léon.

Léon, désolé : Ah ! dieux !

Figaro : De quoi s’agit-il donc, Monsieur ?

Léon : Hélas ! je l’ignore moi-même. Jamais je n’avais vu Floresta de si belle humeur, et je savais qu’elle avait eu un entretien avec mon père. Je la laisse un instant avec Monsieur Bégearss ; je la trouve seule, en rentrant, les yeux remplis de larmes, et m’ordonnant de la fuir pour toujours. Que peut-il donc lui avoir dit ?

Figaro : Si je ne craignais pas votre vivacité, je vous instruirais sur des points qu’il vous importe de savoir. Mais lorsque nous avons besoin d’une grande prudence, il ne faudrait qu’un mot de vous, trop vif, pour me faire perdre le fruit de dix années d’observations.

Léon : Ah ! s’il ne faut qu’être prudent… Que crois-tu donc qu’il lui ait dit ?

Figaro : Qu’elle doit accepter Honoré Bégearss pour époux ; que c’est une affaire arrangée entre Monsieur votre père et lui.

Léon : Entre mon père et lui ? Le traître aura ma vie.

Figaro : Avec ces façons-là, Monsieur, le traître n’aura pas votre vie ; mais il aura votre maîtresse, et votre fortune avec elle.

Léon : Eh bien ! ami, pardon : apprends-moi ce que je dois faire.

Figaro : Deviner l’énigme du Sphinx ; ou bien en être dévoré. En d’autres termes, il faut vous modérer, le laisser dire, et dissimuler avec lui.

Léon, avec fureur : Me modérer !… Oui, je me modérerai. Mais j’ai la rage dans le cœur ! — M’enlever Florestine ! Ah ! le voici qui vient : je vais m’expliquer… froidement.

Figaro : Tout est perdu si vous vous échappez.

Scène XIX : Bégearss, Figaro, Léon.

Léon, se contenant mal : Monsieur, Monsieur, un mot. Il importe à votre repos que vous répondiez sans détour. — Florestine est au désespoir ; qu’avez-vous dit à Florestine ?

Bégearss, d’un ton glacé : Et qui vous dit que je lui ai parlé ? Ne peut-elle avoir des chagrins, sans que j’y sois pour quelque chose ?

Léon, vivement : Point d’évasions, Monsieur. Elle était d’une humeur charmante : en sortant d’avec vous, on la voit fondre en larmes. De quelque part qu’elle en reçoive, mon cœur partage ses chagrins. Vous m’en direz la cause, ou bien vous m’en ferez raison.

Bégearss : Avec un ton moins absolu, on peut tout obtenir de moi : je ne sais point céder à des menaces.

Léon, furieux : Eh bien ! perfide, défends-toi. J’aurai ta vie, ou tu auras la mienne (Il met la main à son épée.)

Figaro les arrête : Monsieur Bégearss ! au fils de votre ami ! dans sa maison ? où vous logez ?

Bégearss, se contenant : Je sais trop ce que je me dois… Je vais m’expliquer avec lui ; mais je n’y veux point de témoins. Sortez, et laissez-nous ensemble.

Léon : Va, mon cher Figaro : tu vois qu’il ne peut m’échapper. Ne lui laissons aucune excuse.