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II : Bégearss, Le Comte. Bégearss, en entrant, s’arrête, le regarde et se mord le doigt avec mystère.

Le Comte : Ah ! mon cher ami, venez donc !… vous me voyez dans un accablement…

Bégearss : Très effrayant, Monsieur ; je n’osais avancer.

Le Comte : Je viens de lire cet écrit. Non ! ce n’étaient point là des ingrats ni des monstres ; mais de malheureux insensés, comme ils se le disent eux-mêmes…

Bégearss : Je l’ai présumé comme vous.

Le Comte se lève et se promène : Les misérables femmes, en se laissant séduire, ne savent guère les maux qu’elles apprêtent !… Elles vont, elles vont… les affronts s’accumulent… et le monde injuste et léger accuse un père qui se tait, qui dévore en secret ses peines !… On le taxe de dureté, pour les sentiments qu’il refuse au fruit d’un coupable adultère !… Nos désordres, à nous, ne leur enlèvent presque rien ; ne peuvent, du moins, leur ravir la certitude d’être mères, ce bien inestimable de la maternité ! tandis que leur moindre caprice, un goût, une étourderie légère, détruit dans l’homme le bonheur… le bonheur de toute sa vie, la sécurité d’être père. — Ah ! ce n’est point légèrement qu’on a donné tant d’importance à la fidélité des femmes ! Le bien, le mal de la société, sont attachés à leur conduite ; le paradis ou l’enfer des familles dépend à tout jamais de l’opinion qu’elles ont donnée d’elles.

Bégearss : Calmez-vous ; voici votre fille.

Scène III : Florestine, Le Comte, Bégearss.

Florestine, un bouquet au côté : On vous disait, Monsieur, si occupé, que je n’ai pas osé vous fatiguer de mon respect.

Le Comte : Occupé de toi, mon enfant ! ma fille ! Ah ! je me plais à te donner ce nom ; car j’ai pris soin de ton enfance. Le mari de ta mère était fort dérangé : en mourant il ne laissa rien. Elle-même, en quittant la vie, t’a recommandée à mes soins. Je lui engageai ma parole ; je la tiendrai, ma fille, en te donnant un noble époux. Je te parle avec liberté devant cet ami qui nous aime. Regarde autour de toi ; choisis ! Ne trouves-tu personne ici, digne de posséder ton cœur ?

Florestine, lui baisant la main : Vous l’avez tout entier, Monsieur, et si je me vois consultée, je répondrai que mon bonheur est de ne point changer d’état. — Monsieur votre fils, en se mariant… (car, sans doute, il ne restera plus dans l’ordre de Malte aujourd’hui), Monsieur votre fils, en se mariant, peut se séparer de son père. Ah ! permettez que ce soit moi qui prenne soin de vos vieux jours ! c’est un devoir, Monsieur, que je remplirai avec joie.

Le Comte : Laisse, laisse Monsieur réservé pour l’indifférence ; on ne sera point étonné qu’une enfant si reconnaissante me donne un nom plus doux ! Appelle-moi ton père.

Bégearss : Elle est digne, en honneur, de votre confidence entière… Mademoiselle, embrassez ce bon, ce tendre protecteur. Vous lui devez plus que vous ne pensez. Sa tutelle n’est qu’un devoir. Il fut l’ami… l’ami secret de votre mère… et, pour tout dire en un seul mot…

Scène IV : Figaro, La Comtesse, Le Comte, Florestine, Bégearss.

La Comtesse est en robe à peigner.

Figaro, annonçant : Madame la Comtesse.

Bégearss jette un regard furieux sur Figaro. A part : Au diable le faquin !

La Comtesse, au Comte : Figaro m’avait dit que vous vous trouviez mal ; effrayée, j’accours, et je vois…

Le Comte :…Que cet homme officieux vous a fait encore un mensonge.

Figaro : Monsieur, quand vous êtes passé, vous aviez un air si défait… heureusement il n’en est rien… (Bégearss l’examine.)

La Comtesse : Bonjour, Monsieur Bégearss… Te voilà, Florestine ; je te trouve radieuse… Mais voyez donc comme elle est fraîche et belle ! Si le ciel m’eût donné une fille, je l’aurais voulue comme toi, de figure et de caractère. Il faudra bien que tu m’en tiennes lieu. Le veux-tu Florestine ?

Florestine, lui baisant la main : Ah ! Madame !

La Comtesse : Qui t’a donc fleurie si matin ?

Florestine, avec joie : Madame, on ne m’a point fleurie ; c’est moi qui ai fait des bouquets. N’est-ce pas aujourd’hui Saint-Léon ?

La Comtesse : Charmante enfant, qui n’oublie rien ! (Elle la baise au front. Le Comte fait un geste terrible ; Bégearss le retient.)