Si tu m’y prends, je veux bien que mille millions de galants…
Tu vas exagérer : dis ta bonne vérité.
Ma vérité la plus vraie !
Fi donc, vilain ! en a-t-on plusieurs ?
Oh ! que oui. Depuis qu’on a remarqué qu’avec le temps vieilles folies deviennent sagesse, et qu’anciens petits mensonges assez mal plantés ont produit de grosses, grosses vérités, on en a de mille espèces. Et celles qu’on sait, sans oser les divulguer : car toute vérité n’est pas bonne à dire ; et celles qu’on vante, sans y ajouter foi : car toute vérité n’est pas bonne à croire ; et les serments passionnés, les menaces des mères, les protestations des buveurs, les promesses des gens en place, le dernier mot de nos marchands : cela ne finit pas. Il n’y a que mon amour pour Suzon qui soit une vérité de bon aloi.
J’aime ta joie, parce qu’elle est folle ; elle annonce que tu es heureux. Parlons du rendez-vous du comte.
Ou plutôt n’en parlons jamais ; il a failli me coûter Suzanne.
Tu ne veux donc plus qu’il ait lieu ?
Si vous m’aimez, Suzon, votre parole d’honneur sur ce point : qu’il s’y morfonde, et c’est sa punition.
Il m’en a plus coûté de l’accorder que je n’ai de peine à le rompre : il n’en sera plus question.
Ta bonne vérité ?
Je ne suis pas comme vous autres savants, moi ; je n’en ai qu’une.
Et tu m’aimeras un peu ?
Beaucoup.
Ce n’est guère.
Et comment ?
En fait d’amour, vois-tu, trop n’est pas même assez.
Je n’entends pas toutes ces finesses, mais je n’aimerai que mon mari.
Tiens parole, et tu feras une belle exception à l’usage.
Scène II
Ah ! j’avais raison de le dire : en quelque endroit qu’ils soient, croyez qu’ils sont ensemble. Allons donc, Figaro, c’est voler l’avenir, le mariage et vous-même, que d’usurper un tête-à-tête. On vous attend, on s’impatiente.
Il est vrai, madame, je m’oublie. Je vais leur montrer mon excuse.
Elle vous suit.
Scène III
As-tu ce qu’il nous faut pour troquer de vêtement ?
Il ne faut rien, madame ; le rendez-vous ne tiendra pas.
Ah ! vous changez d’avis ?
C’est Figaro.
Vous me trompez.
Bonté divine !
Figaro n’est pas homme à laisser échapper une dot.
Madame ! eh ! que croyez-vous donc ?
Qu’enfin, d’accord avec le comte, il vous fâche à présent de m’avoir confié ses projets. Je vous sais par cœur. Laissez-moi.
Au nom du ciel, espoir de tous ! Vous ne savez pas, madame, le mal que vous faites à Suzanne ! Après vos bontés continuelles et la dot que vous me donnez !…
Hé ! mais… je ne sais ce que je dis ! En me cédant