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Scène XVII

BARTHOLO, FIGARO, MARCELINE, BRID’OISON, SUZANNE, ANTONIO, LE COMTE.
Suzanne, accourant, une bourse à la main.

Monseigneur, arrêtez ! qu’on ne les marie pas : je viens payer madame avec la dot que ma maîtresse me donne.

Le Comte, à part.

Au diable la maîtresse ! Il semble que tout conspire…

(Il sort.)



Scène XVIII

BARTHOLO, ANTONIO, SUZANNE, FIGARO, MARCELINE, BRID’OISON.
Antonio, voyant Figaro embrasser sa mère, dit à Suzanne.

Ah ! oui, payer ! Tiens, tiens.

Suzanne se retourne.

J’en vois assez : sortons, mon oncle.

Figaro, l’arrêtant.

Non, s’il vous plaît. Que vois-tu donc ?

Suzanne.

Ma bêtise et ta lâcheté.

Figaro.

Pas plus de l’une que de l’autre.

Suzanne, en colère.

Et que tu l’épouses à gré, puisque tu la caresses.

Figaro, gaiement.

Je la caresse ; mais je ne l’épouse pas.

(Suzanne veut sortir, Figaro la retient.)
Suzanne lui donne un soufflet.

Vous êtes bien insolent d’oser me retenir !

Figaro, à la compagnie.

C’est-il ça de l’amour ! Avant de nous quitter, je t’en supplie, envisage bien cette chère femme-là.

Suzanne.

Je la regarde.

Figaro.

Et tu la trouves …

Suzanne.

Affreuse.

Figaro.

Et vive la jalousie ! elle ne vous marchande pas.

Marceline, les bras ouverts.

Embrasse ta mère, ma jolie Suzannette. Le méchant qui te tourmente est mon fils.

Suzanne court à elle.

Vous sa mère !

(Elles restent dans les bras l’une de l’autre.)
Antonio.

C’est donc de tout à l’heure ?

Figaro.

… Que je le sais.

Marceline, exaltée.

Non, mon cœur entraîné vers lui ne se trompait que de motif ; c’était le sang qui me parlait.

Figaro.

Et moi le bon sens, ma mère, qui me servait d’instinct quand je vous refusais : car j’étais loin de vous haïr, témoin l’argent…

Marceline lui remet un papier.

Il est à toi : reprends ton billet, c’est ta dot.

Suzanne lui jette la bourse.

Prends encore celle-ci.

Figaro.

Grand merci.

Marceline, exaltée.

Fille assez malheureuse, j’allais devenir la plus misérable des femmes, et je suis la plus fortunée des mères ! Embrassez-moi, mes deux enfants ; j’unis en vous toutes mes tendresses. Heureuse autant que je puis l’être, ah ! mes enfants, combien je vais aimer !

Figaro, attendri, avec vivacité.

Arrête donc, chère mère ! arrête donc ! voudrais-tu voir se fondre en eau mes yeux noyés des premières larmes que je connaisse ? Elles sont de joie, au moins ! Mais quelle stupidité ! j’ai manqué d’en être honteux : je les sentais couler entre mes doigts : regarde ; (Il montre ses doigts écartés) ; et je les retenais bêtement ! Va te promener, la honte ! je veux rire et pleurer en même temps ; on ne sent pas deux fois ce que j’éprouve.

(Il embrasse sa mère d’un côté, Suzanne de l’autre.)
Marceline.

Ô mon ami !

Suzanne.

Mon cher ami !

Brid’oison, s’essuyant les yeux d’un mouchoir.

Eh bien ! moi, je suis donc bê-ête aussi !

Figaro, exalté.

Chagrin, c’est maintenant que je puis te défier ! Atteins-moi, si tu l’oses, entre ces deux femmes chéries.

Antonio, à Figaro.

Pas tant de cajoleries, s’il vous plaît. En fait de mariage dans les familles, celui des parents va devant, savez ! Les vôtres se baillent-ils la main ?

Bartholo.

Ma main ! puisse-t-elle se dessécher et tomber, si jamais je la donne à la mère d’un tel drôle !

Antonio, à Bartholo.

Vous n’êtes donc qu’un père marâtre ? (À Figaro.) En ce cas, not’galant, plus de parole.

Suzanne.

Ah ! mon oncle…

Antonio.

Irai-je donner l’enfant de not’sœur à sti qui n’est l’enfant de personne ?

Brid’oison.

Est-ce que cela-a se peut, imbécile ? on-on est toujours l’enfant de quelqu’un.

Antonio.

Tarare !… Il ne l’aura jamais.

(Il sort.)