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Figaro, tout court. Mes conclusions sont au payement du billet et à l’exécution de la promesse, avec dépens. (Il plaide.) Messieurs… jamais cause plus intéressante ne fut soumise au jugement de la cour ; et, depuis Alexandre le Grand, qui promit mariage à la belle Thalestris…

Le Comte, interrompant.

Avant d’aller plus loin, avocat, convient-on de la validité du titre ?

Brid’oison, à Figaro.

Qu’oppo… qu’oppo-osez-vous à cette lecture ?

Figaro.

Qu’il y a, messieurs, malice, erreur ou distraction dans la manière dont on a lu la pièce, car il n’est pas dit dans l’écrit : laquelle somme je lui rendrai, ET je l’épouserai, mais : laquelle somme je lui rendrai, OU je l’épouserai ; ce qui est bien différent.

Le Comte.

Y a-t-il et, dans l’acte ; ou bien ou ?

Bartholo.

Il y a et.

Figaro.

Il y a ou.

Brid’oison.

Dou-ouble-Main, lisez vous-même.

Double-Main, prenant le papier.

Et c’est le plus sûr, car souvent les parties déguisent en lisant. (Il lit.) E. e. e. e. Damoiselle e. e. e. de Verte-Allure e. e. e. Ha ! laquelle somme je lui rendrai à sa réquisition, dans ce château… ET… OU… ET… OU… Le mot est si mal écrit… il y a un pâté.

Brid’oison.

Un pâ-âté ? je sais ce que c’est.

Bartholo, plaidant.

Je soutiens, moi, que c’est la conjonction copulative ET qui lie les membres corrélatifs de la phrase : Je payerai la demoiselle, ET je l’épouserai.

Figaro, plaidant.

Je soutiens, moi, que c’est la conjonction alternative OU qui sépare lesdits membres : Je payerai la donzelle, OU je l’épouserai. À pédant, pédant et demi. Qu’il s’avise de parler latin, j’y suis Grec ; je l’extermine.

Le Comte.

Comment juger pareille question ?

Bartholo.

Pour la trancher, messieurs, et ne plus chicaner sur un mot, nous passons qu’il y ait OU.

Figaro.

J’en demande acte.

Bartholo.

Et nous y adhérons. Un si mauvais refuge ne sauvera pas le coupable. Examinons le titre en ce sens. (Il lit.) Laquelle somme je lui rendrai dans ce châteauje l’épouserai. C’est ainsi qu’on dirait, messieurs : Vous vous ferez saigner dans ce litvous resterez chaudement : c’est dans lequel. Il prendra deux gros de rhubarbevous mêlerez un peu de tamarin : dans lesquels on mêlera. Ainsi châteauje l’épouserai, messieurs, c’est château dans lequel.

Figaro.

Point du tout : la phrase est dans le sens de celle-ci : ou la maladie vous tuera, ou ce sera le médecin : ou bien le médecin ; c’est incontestable. Autre exemple : ou vous n’écrirez rien qui plaise, ou les sots vous dénigreront : ou bien les sots ; le sens est clair ; car, audit cas, sots ou méchants sont le substantif qui gouverne. Maître Bartholo croit-il donc que j’aie oublié ma syntaxe ? Ainsi, je la payerai dans ce château, virgule, ou je l’épouserai…

Bartholo, vite.

Sans virgule.

Figaro, vite.

Elle y est. C’est, virgule, messieurs, ou bien je l’épouserai.

Bartholo, regardant le papier, vite.

Sans virgule, messieurs.

Figaro, vite.

Elle y était, messieurs. D’ailleurs, l’homme qui épouse est-il tenu de rembourser ?

Bartholo, vite.

Oui ; nous nous marions séparés de biens.

Figaro, vite.

Et nous de corps, dès que mariage n’est pas quittance.

(Les juges se lèvent et opinent tout bas.)
Bartholo.

Plaisant acquittement !

Double-Main.

Silence, messieurs !

L’Huissier, glapissant.

Silence !

Bartholo.

Un pareil fripon appelle cela payer ses dettes.

Figaro.

Est-ce votre cause, avocat, que vous plaidez ?

Bartholo.

Je défends cette demoiselle.

Figaro.

Continuez à déraisonner, mais cessez d’injurier. Lorsque, craignant l’emportement des plaideurs, les tribunaux ont toléré qu’on appelât des tiers, ils n’ont pas entendu que ces défenseurs modérés deviendraient impunément des insolents privilégiés. C’est dégrader le plus noble institut.

(Les juges continuent d’opiner bas.)
Antonio, à Marceline, montrant les juges.

Qu’ont-ils tant à balbucifier ?

Marceline.

On a corrompu le grand juge, il corrompt l’autre, et je perds mon procès.

Bartholo, bas, d’un ton sombre.

J’en ai peur.

Figaro, gaiement.

Courage, Marceline !